Les Inrockuptibles

Le retour anxiogène et exaltant d’un titubant seigneur de la pop saoule. Plus sorcier que jamais.

PRECIPICE FANTASY PART. 1 de Koudlam

- Rémi Boiteux

Secret, mystique, cabossé et flamboyant : sous l’alias en forme de cri de guerre Koudlam, Gwenaël Navarro a produit juste ce qu’il faut de musique (une poignée de maxis et trois longs formats) pour que chaque nouvelle sortie voie monter de plusieurs crans les attentes et les espoirs qu’on lui confie, comme on confierait la destinée de nos tripes à un chamane. Plus condensé, concentré, moins expansif que le touffu – et tout fou – Benidorm Dream (2014), Precipice Fantasy renoue avec la frappe immédiate de Goodbye (2009) et peut-être plus encore d’Alcoholic’s Hymn, EP de 2011 si bien nommé.

Car il en va des litanies de Koudlam comme des ivresses, de celles qui vous chopent par le col et vous font monter très haut vers les étoiles en vous précipitan­t dans le ravin. Il y a chez cet arpenteur du Mexique quelque chose du consul de Malcolm Lowry (Au-dessous du volcan), cette grandeur ivrogne assortie de génie pop comme on en trouvait chez feu Nicolas Ker (Poni Hoax). C’est d’ailleurs Luc Rougy, collaborat­eur de Ker, qui cosigne le mixage, secondé par Stéphane “Alf ” Briat. Ici, la lame s’est encore affinée, tout comme ce talent de mélodiste auquel Koudlam lâche enfin franchemen­t la bride. En résultent des chansons aux atours si accrocheur­s qu’elles vous mènent n’importe où. C’est IWill Rape the World, qui sonne comme l’ouverture de Twin Peaks chantée par Jarvis Cocker, c’est Waterfall Views, qui multiplie les approches pour assaillir l’encéphale, c’est tout un disque qui semble né de la collision entre The Pod (Ween, 1991, sa brume narcolepti­que) et Violator (Depeche Mode, 1990, son blues de synthèse) pour nous danser aux oreilles, comme ces figurines tenues par un élastique qui s’affaissent puis d’un coup se tendent à nouveau.

Il y a là une grandiloqu­ence que son sens sublime du pathétique prémunit de toute boursouflu­re. Ainsi de Hail to Myself, pseudo-ode à l’ego qui se termine en coitus interruptu­s, comme de cette voix qui part en vrille sur Am I Paranoid III en écho au tout premier album (Nowhere, 2006), ou en complainte sur une River dont la guitare d’une étincelant­e sécheresse ravive le souvenir d’un Cobain débranché au chevet de Bowie. À l’image de Grave for a Dolphin, grand titre traversé de sonars, cette première partie de Precipice Fantasy (on attend la suite, “un disque instrument­al contemplat­if pour séance de yoga malaisante”) impose son ivresse en profondeur.

Precipice Fantasy Part. I (Pan European Recording/Bigwax). Sortie le 28 octobre.

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