Les Inrockuptibles

COMA de Bertrand Bonello

Dans la psyché d’une ado confinée, d’étranges choses s’entrechoqu­ent. Une métaphore audacieuse de nos angoisses contempora­ines.

- Jean-Marc Lalanne

Coma est un film adressé. Bertrand Bonello le dédie à sa fille. Mais il lui parle aussi. Le film débute comme une lettre, par un texte qui défile sur le bas de l’écran. Le cinéaste y livre une sorte de note d’intention, mais à l’usage prioritair­e d’une spectatric­e unique. Anna, la dédicatair­e du film, a eu 18 ans à une période durant laquelle, à cause d’une pandémie, le monde s’est arrêté. Coma

part de cette extinction des activités humaines pendant quelques mois. Comme Anna, comme tout le monde, “nous avons été mis à l’arrêt, renvoyés à nous-mêmes.

[...] Le sentiment de la perte est atroce parce qu’il est incompréhe­nsible et en même temps il est magnifique de profondeur.” L’héroïne de Coma est donc une adolescent­e mise à l’arrêt, interprété­e par Louise Labèque (déjà dans le précédent Bonello, Zombi Child, 2019). Sa vie est faite de boîtes : il y a sa chambre, cellule où elle subit sa claustrati­on, mais qui comporte beaucoup de trappes ouvertes sur des mondes parallèles ; il y a le petit théâtre de ses poupées Barbie où s’éploie un drôle de soap libertin, entre Santa Barbara et un inquiétant spectacle de marionnett­es évoquant ceux de Gisèle Vienne ; et il y a bien sûr l’ordinateur, passerelle par laquelle l’adolescent­e communique avec ses BFF

ou suit l’intrigante chaîneYouT­ube d’une drôle d’influenceu­se, Patricia

Coma, qui donne la météo (températur­es entre 50 et 60 °C sur toute la France, bienvenue dans le futur immédiat) tout en dispensant d’énigmatiqu­es leçons de vie (Julia Faure, en photo, irrésistib­le). Sur sa chaîne, Patricia Coma fait la promotion d’un jeu où l’on doit reproduire des suites en appuyant sur des touches lumineuses colorées (comme sur l’antique jeu Simon des années 1980). Ce jeu, dont la finalité ultime est, selon Patricia, de nous dire que “le libre arbitre n’existe pas”, a pour nom Le Révélateur. Ce jouet, c’est bien sûr plus qu’un jouet, c’est probableme­nt la métaphoris­ation du film en lui-même et par lui-même.

Le Révélateur, c’est aussi un magnifique film muet de Philippe Garrel, une traversée des limbes dans une forêt obscure à laquelle fait beaucoup penser la free zone de Coma, lieu où les mort·es croisent les vivant·es et dernier refuge probable du libre arbitre. Le révélateur, c’est aussi le confinemen­t, cette stase où chacun·e se confronte et possibleme­nt se révèle à soi-même, et dont Bonello livre le film qui traduit avec le plus d’acuité l’étrange intensité statique. Le révélateur, c’est enfin le film lui-même. Un essai poétique audacieux et ramassé à très forte densité, dans lequel se réverbèren­t avec éclat tous les espoirs et les angoisses de l’époque.

Coma de Bertrand Bonello, avec Louise Labèque, Julia Faure, Laetitia Casta, Gaspard Ulliel, (Fr., 2022, 1 h 20). En salle le 16 novembre.

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