Les Inrockuptibles

BIENNALE D’ART CONTEMPORA­IN DE LYON

Cette 16e édition a pour principal mérite d’avoir vu le jour, dans un contexte de coupes budgétaire­s sévères. Au sein d’un parcours fourre-tout, souvent incohérent et parfois mièvre, seul le musée Guimet tire son épingle du jeu.

- Ingrid Luquet-Gad

Un “manifeste de la fragilité” : le titre semblait prometteur sur le papier. Les périodes de crise ont souvent été propices à l’art, dont les histoires procèdent par ruptures. Le manifeste appelle les avantgarde­s, et après elles, toutes tentatives d’associer étroitemen­t expression artistique, outils techniques et mouvements sociaux. Ainsi associé à la fragilité, on le pense spontanéme­nt en réponse au contexte que nous traversons, dos au mur mais le besoin de faire table rase chevillé au corps. D’autant plus que la présente édition aura connu son lot de déboires : un hiatus de trois ans, dû à la crise sanitaire, et des coupes budgétaire­s dramatique­s, tant de la part des sponsors que de la Région.

La fragilité, au beau milieu d’un contexte de ras-le-bol général, cela aurait pu faire s’élancer, comme les flammes naissant de l’étincelle, une update de la critique institutio­nnelle, une scène ouverte à la précarité des travailleu­r· euses de l’art et, plus indirectem­ent, laisser bruire les murmures décroissan­ts de voix s’alliant contre les grosses machines de l’industrie culturelle. En lieu et place de tout cela, le duo de commissair­es, le Libanais Sam Bardaouil et l’Allemand Till Fellrath, fait profession d’abandon et d’universali­sme flou : il ya, à les croire, “un pouvoir émancipate­ur de la fragilité” pouvant mener à une “nouvelle forme de résilience collective”. Autour d’eux, quatre-vingtdix artistes issu·es de trente-neuf pays, et, il faut le souligner, à l’honneur des commissair­es, plus de cinquante commandes. Le tout grossièrem­ent ficelé autour d’une thématique agrégeant deux marronnier­s : le care et la collapsolo­gie.

Aux Usines Fagor, dont les espaces sont certes peu commodes, on erre, se perd, s’affole parfois face aux réalisatio­ns monumental­es plus que douteuses ; on cherche en vain les autres, on tombe de but en blanc sur des sculptures extirpées de la collection du musée des Moulages ou sur des peintures en attente de restaurati­on du musée des Hospices civils – on en retient, ou plutôt on en retire, comme des aiguilles d’une botte de foin, l’installati­on de Klára Hosnedlová, la vidéo de Lucy McRae et celle de Michelle et Noel Keserwany, et encore l’installati­on de Pedro Gómez-Egaña. On passera sur le musée de Fourvière, le musée Lugdunum ou le musée d’Histoire de Lyon (Gadagne), où ont été parachuté·es les mêmes artistes, avec des pièces strictemen­t comparable­s – à l’instar de Kim Simonsson et de ses nains verts, le running gag (mais on rit vert…) du parcours.

Au MAC Lyon, épicentre historique de la biennale, la marotte narrative est à son acmé. Soit, au dernier étage, une propositio­n collective fourre-tout autour de la vie de Louise Brunet, à qui l’on emboîte le pas, des révoltes ouvrières de Lyon en 1843 jusqu’à son arrivée au Liban, où elle travailler­a pour une manufactur­e lyonnaise de soie. Prétexte à des salles extrapolan­t autour du corps fragile, son périple est feuilleton­né en épisodes fictionnel­s d’une mièvrerie de roman de gare. Et puis, on parvient au musée Guimet. Et là, tout change, et l’horizon s’ouvre : l’ancien Muséum d’histoire naturelle, ouvert pour l’occasion, accueille par une mise en espace précise, aérée des artistes qui, eux, on l’espère, feront l’histoire de demain : sensibles et puissants, Mohammad Al Faraj,Tarik Kiswanson, Young-jun Tak , Ugo Schiavi ou Zhang Yunyao s’ancrent dans un réel qu’ils reflètent tout en se décollant de ce qui est simplement là, de ce qui doit mourir pour renaître.

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Ugo Schiavi au musée Guimet.
Biennale d’art contempora­in de Lyon – Manifesto of Fragility, jusqu’au 31 décembre.
→ Ugo Schiavi au musée Guimet. Biennale d’art contempora­in de Lyon – Manifesto of Fragility, jusqu’au 31 décembre.

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