LES ÉMOTIONS CONTRE LA DÉMOCRATIE
d’Eva Illouz La sociologue analyse les émotions qui mènent au populisme, et comment la droite dure s’en sert pour manipuler les peuples.
Comprendre les succès du populisme exige d’associer à la pensée du politique la part secrète des émotions des citoyen·nes attiré·es par les sirènes du post-fascisme. C’est à partir de cette conviction que la sociologue Eva Illouz diagnostique les maux de nos démocraties. S’intéressant de près à la société israélienne, elle a pu ainsi identifier quatre types d’affects – la peur, le ressentiment, le dégoût et la fierté nationale – qui dessinent la matrice d’un populisme triomphant, illustré par la récente élection de Giorgia Meloni en Italie ou des Démocrates de Suède. À partir d’entretiens avec des citoyennes et citoyens israélien·nes proches de la droite dure, Eva Illouz analyse finement comment le populisme est “une manière (souvent efficace) de recoder un malaise social”, et comment il instrumentalise des émotions négatives et des traumas collectifs.
En évoquant la perspective de l’annihilation d’Israël, le dirigeant Netanyahou a par exemple joué sur la peur et la confusion entre faits et fiction. “Si la peur est l’émotion privilégiée des tyrans, le dégoût est l’émotion préférée des racistes”, observe la sociologue, attentive à la multiplication “d’entrepreneurs du dégoût” qui défendent la pureté d’un peuple originel. À cette peur et ce dégoût s’ajoute le ressentiment, composante émotionnelle suscitée par une perte de pouvoir, réelle ou imaginée.
L’effet du ressentiment est de “pousser les dépossédés à ressasser à l’infini les torts qui leur ont été infligés et à exiger que vengeance soit faite plutôt que de s’efforcer de faire changer les choses en collaboration avec autrui”. Contre les formes multiples d’un nationalisme autoritaire, Eva Illouz milite pour un “patriotisme démocratique”, fondé sur “un amour critique de la nation” permettant de
“canaliser l’aspiration de la population à former une communauté”. Seul ce cadre émotionnel pourrait conjurer les effets de “l’exploitation de la peur des gens ordinaires, de la méfiance, de la colère et du ressentiment au profit de stratégies d’acteurs politiques sans scrupules”.
Avec la sociologue, pour contrarier nos sociétés déboussolées par leurs propres fragilités et leur aigreur maladive, on s’accroche à cette espérance d’une société
“décente”, fondée sur des émotions comme la compassion et la fraternité. Une société décente dont la seule condition d’existence sera une réparation des affects blessés.
Les Émotions contre la démocratie d’Eva Illouz (Premier Parallèle), traduit de l’anglais par Frédéric Joly,
336 p., 22 €. En librairie.