Les Inrockuptibles

Histoire de shoots

Fort d’une relation de deux décennies avec les deux frères ex-ennemis Carl et Peter, le photograph­e Mathieu Zazzo nous raconte ses Libertines. Texte Théo Dubreuil

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Ç “a commence en 2002. À l’époque, je fais partie de la petite équipe du magazine Newcomer avec mes potes Jean-Vic Chapus et Samuel Kirszenbau­m. On est alors lecteurs du NME, donc on est vite alertés sur ce groupe considéré comme la réponse anglaise aux Strokes : les Libertines. On voit quelques brèves sortir, leurs tronches, leurs dégaines et l’espèce de mythologie très anglaise, très littéraire, très romantique et beaucoup plus bordélique que les Strokes.

Ça nous plaît vachement.Tout ce qu’on peut lire sur leurs concerts est tellement excitant : sur le fil du rasoir, toujours entre la catastroph­e et l’événement artistique total et mémorable. Ils veulent faire des concerts chez les gens, débarquer dans des bars pour des lives impromptus qu’ils appellent “guerilla gigs”. Il y a cette sorte d’idéal du geste romanesque, sans hiérarchie entre le groupe et le public, ça nous rappelle l’époque des Clash en plus radical. Ils deviennent notre groupe favori et on n’a qu’une ambition : les rencontrer et les voir jouer.

LES INROCKS FESTIVAL EN 2002

Je n’étais tellement pas prêt à ce que j’ai vu : un bordel sans nom. À l’occasion des Inrocks Festival en 2002, on prévoit de faire une couv et on cale une séance photo avec Baxter Dury et eux juste avant le concert. J’ai toutes les peines du monde à les réunir dans la même pièce : les loges sont minuscules, il y a un bordel de fringues, d’étuis à guitare, de bouffe. Et eux passent d’une pièce à l’autre en faisant des conneries et des blagues. Je me souviens qu’ils chopent les accessoire­s de British Sea Power qui jouent ce soir-là avec un attirail de hiboux empaillés, de cornes de cerfs. [rires] Du coup, j’ai une photo de Peter Doherty avec des cornes de cerf. En tant que photograph­e, c’est du pain bénit : ils ont une gueule, ils sont beaux, ils sont bien fringués, ils ont une attitude qui est ultraphoto­génique. C’est un sujet en or. J’ai un souvenir très fort du concert. Avec mon pote Jean-Vic, on est au premier rang collés contre la scène. J’ai un Nikon avec un gros flash autour du cou, et je me revois en train de danser et de prendre des photos. Ils se sont retrouvés torse nu sur scène à la fin, et c’était un mélange de sueur, de flamboyanc­e, de romantisme et d’énergie brute. On avait le sentiment d’être au bon endroit, au bon moment, que notre génération avait enfin un groupe emblématiq­ue auquel elle pouvait s’identifier.

À LONDRES EN 2024

Quand j’ai retrouvé Barât, il m’a foncé dessus et m’a pris dans ses bras. Il m’a demandé des nouvelles de mes potes, du Newcomer, il se souvenait de tout. Il m’a dit que j’étais un peu un Libertines aussi. Évidemment, ça m’a beaucoup touché. La dernière fois que j’avais photograph­ié la paire, c’était en 2012. J’avais pas mal d’appréhensi­on. Je me demandais si l’ambiance était encore là. Et j’ai halluciné. Je ne pensais pas avoir un groupe aussi joyeux et émouvant : ils s’embrassaie­nt, dansaient, se prenaient dans les bras. Émotionnel­lement, c’était assez chargé. C’est le groupe avec lequel j’ai eu la relation la plus forte, que j’ai le plus aimé photograph­ier malgré les difficulté­s. [rires] Et le faire pour Les Inrockupti­bles, le journal qui m’a donné envie de faire ce métier, c’était boucler la boucle à plusieurs points de vue. Quand je suis rentré, j’étais sur un nuage. Ils ont changé, on a changé, mais ça rend les retrouvail­les encore plus émouvantes.”

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