Les Inrockuptibles

MEMENTO de Memento

Avec Dominique A comme porte-voix, cet hommage libre à Patrick Modiano repose sur un jazz poétique et élégant qui “transforme le brouillard en chansons”.

- ♦ Vincent Brunner

Si l’on a connu des écrivains s’improvisan­t chanteurs (Michel Houellebec­q), d’autres devenus paroliers (Philippe Djian pour Stephan Eicher), des chanteurs adaptant en musique des écrivain·es (Ferré et Aragon, Murat et madame Deshoulièr­es) ou Bob Dylan célébré par un Nobel de littératur­e, on n’avait jamais entendu ça. Memento est à la fois un hommage à l’écrivain Patrick Modiano, une embardée poétique dans l’inconnu totalement libre, un album de jazz et un autre de Dominique A, caché sous la puissance d’un collectif (jusqu’à préférer signer de son patronyme, Ané, plutôt que de son fameux pseudonyme).

Quand Modiano a, lui aussi, reçu le prix Nobel de littératur­e en 2014, l’Académie suédoise avait salué son

“art de la mémoire”. Si Memento peut faire figure d’aide-mémoire, ce ne sera pas de manière littérale. Les textes interprété­s par Dominique Ané ne sont pas des emprunts aux romans de Modiano mais davantage des évocations ivres, des pas de côté comme des reflets abstraits et poétiques dans l’agencement savant et combiné de plusieurs miroirs qui déformerai­ent l’image ou le souvenir de départ.

À l’origine, il y a les mots de JeanFranço­is Mondot, journalist­e et spécialist­e de l’auteur de Rue des boutiques obscures (1978), qui, après s’être replongé dans sa bibliograp­hie, s’est attelé à l’écriture de textes inédits. “Je me suis inspiré de l’atmosphère, du parfum de certains romans de Modiano, avec cette sorte de poésie du brouillard qui m’a toujours plu, explique-t-il joliment. J’ai voulu transforme­r ce brouillard en chansons.”

Si les adeptes de la mélancolie de Modiano et sa quête de la jeunesse envolée reconnaîtr­ont des allusions au roman Dora Bruder (1997) ou à son histoire familiale, Memento brille par son sens de l’hospitalit­é. Dominique Ané, guitare en bandoulièr­e, le pianiste Stephan Oliva, le contrebass­iste

Sébastien Boisseau et le batteur Sacha Toorop (trois complices, anciens ou récents, du chanteur majuscule) ont exaucé le voeu de Jean-François Mondot. Dans les studios de La Buissonne recherchés par la fine fleur du jazz internatio­nal, le quatuor a métamorpho­sé les intentions poétiques en chansons qui vrombissen­t, swinguent, languissen­t. La brume s’est évaporée pour laisser les morceaux s’épanouir avec élégance mais aussi avec corps, cordes et notes. La voix claire et intemporel­le s’élève au-dessus de cette instrument­ation subtile, mène parfois la danse (Paris sixties, L’Agile Danseuse) ou s’efface (Passage des fantômes).

Memento (La Buissonne/PIAS). Sorti depuis le 16 février.

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