Les Inrockuptibles

BYE BYE TIBÉRIADE de Lina Soualem

Un beau geste documentai­re où la cinéaste regarde du côté de sa famille maternelle et de la Palestine menacée de disparitio­n.

- Marilou Duponchel Lina Soualem

“Par là-bas, c’est la Syrie ! Là-bas, c’est la frontière entre la Jordanie et la Palestine. Regarde, Lina, le lac de Tibériade !” “Là-bas”, ce sont des plaines, des collines, des bouts de paysages qui ondulent et défilent à la vitesse de la voiture depuis laquelle sont prises ces images de famille, en 1992, et qui ouvrent Bye Bye Tibériade. Plus tard, c’est sur la terrasse de la maison de Deir Hanna en Galilée, où l’arrière grand-mère de Lina Soualem s’est réfugiée après l’exode palestinie­n forcé par les troupes israélienn­es en 1948, que se profile à l’horizon l’immensité déserte d’un territoire marqué par une délimitati­on invisible à l’oeil nu.

On ne saurait trouver plus juste évocation de la filmograph­ie naissante et déjà très accomplie de la documentar­iste que ce geste qui montre et désigne. Mais aussi cette voix, celle de sa mère, l’actrice et cinéaste Hiam Abbass, qui nomme et transmet, tant le cinéma Lina Soualem est investi d’une nécessité de faire dire et entendre ce qui a été oublié et méprisé. C’était la vie de ses grands-parents algériens paternels, immigrés en France, dans Leur Algérie (2020) ; c’est aujourd’hui celle des femmes de sa famille du côté maternel. Lina Soualem rassemble les pièces à conviction, ressort les photos, les petits films, les poèmes écrits très jeune par sa mère. De cet amoncellem­ent de matière, la cinéaste tire un documentai­re ramifié qui fixe la puissance d’un lien et dessine avec un sens du détail et de la nuance la généalogie de ces femmes, de ces génération­s prises entre tradition et modernité, une compatibil­ité que le cliché interdit et que Bye Bye Tibériade vient habilement éroder. L’accalmie et la beauté ne cachent évidemment pas son urgence tant son endroit, la Palestine, est plus que jamais menacé. Cette crainte imminente de la perte irrigue chaque plan du film et fait des images de Lina Soualem le précieux legs d’une mémoire vivante.

Bye Bye Tibériade de

(Fr., Bel., Qat., Pal., 2023, 1 h 22). En salle le 21 février.

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