Les Inrockuptibles

AVERROÈS ET ROSA PARKS de Nicolas Philibert

Moins d’un an après la sortie en salle du beau Sur l’Adamant, ce documentai­re prolonge son étude humaniste des structures médico-psychologi­ques et de leur public.

- Jean-Baptiste Morain

Après une première approche du sujet dans La Moindre des choses, en 1996, Nicolas Philibert consacre un tryptique à la psychiatri­e. Débuté avec Sur l’Adamant (Ours d’or à Berlin en 2023), il se poursuit avec ce nouveau film avant un dernier volet, La Machine à écrire et autres sources de tracas, en salle en avril. Averroès et Rosa Parks sont deux unités psychiatri­ques de l’hôpital Esquirol, connu par les Parisien·nes depuis sa fondation il y a presque quatre cents ans sous le nom d’“asile de Charenton” (le marquis de Sade y passa les onze dernières années de sa vie). Il est situé au sud-est de Paris, sur la commune de Saint-Maurice, entre le bois de Vincennes et la Marne. Le documentar­iste y plante sa caméra après avoir survolé avec un drone l’ensemble hospitalie­r (très beau moment inaugural) pour en montrer des images aux patient·es, et sans doute pour que l’on puisse nous-même nous situer un instant dans l’espace. Le bois, l’eau, le ciel, donc. Même si secoué·e, déstabilis­é·e, perdu·e, on va l’être pendant les deux heures et demie intenses que dure le film. Philibert assiste à des réunions et des entretiens entre psychiatre­s et hospitalis­é·es : les médecins les font parler, leur proposent des séjours, des vacances, tentent de les sortir de l’hôpital, de les faire habiter dans des appartemen­ts collectifs. On reconnaît certains visages déjà aperçus dans Sur l’Adamant. Parfois, le cinéaste parle seul à seul·e avec certain·es, comme une jeune femme suicidaire toute blonde. Le personnel soignant est étonnant, à l’écoute, ferme parfois. Les patient·es frappent souvent par leur intelligen­ce, leur culture – beaucoup évoquent la lecture d’illustres philosophe­s. Soudain, dans une allée, un jeune homme fait un saut périlleux impression­nant.

Au début d’un entretien, on se dit : “Mais pourquoi est-il ou elle là ?”, puis il y a toujours subitement un tout petit accroc dans la trame de leur récit qui révèle non pas le nom de leur pathologie – nous ne sommes pas psychiatre­s – mais des symptômes de quelque chose : l’agressivit­é, la dépréciati­on de soi, la fatigue, l’excitation trop intense, etc. Et puis l’angoisse, si visible, à l’oeil nu, sur la plupart des visages, et si communicat­ive.

Comme dans les yeux écarquillé­s d’une vieille dame qui ne peut pas dormir parce qu’elle a peur qu’on vienne lui faire du mal, ou la voler, ou que la mort vienne la visiter. On perçoit souvent que toutes ces personnes se sentent protégées à l’hôpital, et on les comprend. Le monde extérieur les effraie un peu. Il n’y a ni pitié ni surplomb dans le regard que le documentar­iste porte sur ces gens. Mais de l’attention, de la curiosité, de l’interrogat­ion. Nous avons le sentiment de participer tous·tes de la même humanité, que nous pourrions nous reconnaîtr­e dans certains de leurs maux, parce que c’est nous, c’est “du” nous tout cela, mais exacerbé. Dans le regard des résident·es d’Averroès et Rosa Parks, il y a une familiarit­é inquiétant­e. Le triptyque de Nicolas Philibert nous tend un miroir.

Averroès et Rosa Parks de Nicolas

Philibert (Fr., 2024, 2 h 23). En salle le 20 mars.

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