Les Inrockuptibles

LA MÈRE DE TOUS LES MENSONGES d’Asmae El Moudir

Raconter le poids des secrets pour exorciser le passé : une révélation puissante venue du Maroc.

- Marilou Duponchel

L’année dernière, le cinéma a accolé avec une forte récurrence le motif du mensonge à des personnage­s féminins. Qu’elle agisse comme un moteur du récit (Mon crime de François Ozon, Le Ravissemen­t d’Iris Kaltenbäck,

L’Été dernier de Catherine Breillat et dans une certaine mesure Le Temps d’aimer de Katell Quillévéré) ou qu’elle se matérialis­e par un dispositif (Les Filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania, film labo qui joue au mensonge de la fiction pour tenter de percer le vrai), la thématique associée à ces parcours de vie apparaît comme symptomati­que d’un certain conditionn­ement (à divers degrés et variations) du féminin, le mensonge figurant comme la possibilit­é d’en sortir. À son tour, Asmae El Moudir apporte sa pierre à ce corpus passionnan­t avec un film dont l’ambition formelle serait voisine de celle de Kaouther Ben Hania et le dessein, pas si éloigné de celui de Lina Soualem dans son très beau Bye Bye Tibériade (lire p.125).

La jeune cinéaste marocaine retourne vers le passé et la maison familiale de Casablanca, son quartier ici reproduit par une maquette de papier mâché trônant au centre d’une pièce où la famille se trouve réunie. La miniature aux effets miroir est même habitée de petites figurines incarnant chacun et chacune, et c’est à la valeur cathartiqu­e d’un théâtre aux airs d’exorcisme que s’attache ce jeu de mise en abyme. Là surgissent, dans une cohue d’énigmes prêtes à être déboulonné­es, des histoires d’images manquantes, des photos falsifiées et avec elles les souvenirs traumatiqu­es d’une nuit de répression sanglante pendant les années de plomb au Maroc, secret enfermé à jamais dans la tête d’une grand-mère acariâtre.

En cherchant à dire ce qui a été tu, à recoller ce qui a été brisé, La Mère de tous les mensonges fixe aussi avec une justesse de propos bienvenue cette béance génération­nelle entre les femmes obligées de se taire et celles désormais capables de parler.

La Mère de tous les mensonges d’Asmae El Moudir (Mar., Ég., Ara. Sa., Qat., 2023, 1 h 36). En salle le 28 février.

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