Les Inrockuptibles

WALK UP de Hong Sang-soo

Mettant en scène un double fictionnel en quête de hauteur, le Coréen signe une oeuvre habitée, dans tous les sens du terme.

- Bruno Deruisseau

Depuis quelques films, on attend la sortie du Hong Sang-soo semestriel avec le plaisir de retrouver l’oeuvre d’un des plus grands cinéastes en activité, mais aussi avec une pointe de lassitude, tant le réalisateu­r coréen enchaîne les tournages comme il peindrait des esquisses, avec un mélange de virtuosité et de flegme. Si d’aucun·es trouvent que ses sorties récentes se ressemblen­t trop, un oeil averti peut en repérer les diverses mutations. Cela tombe bien : avec son titre, Walk Up est la promesse d’un mouvement ascensionn­el.

Ce nouveau long s’inscrit dans un moment tourmenté de la vie, et donc de l’oeuvre, de HSS. Atteint de graves problèmes de santé qui l’obligent à diminuer sa consommati­on d’alcool et de tabac, deux accessoire­s quasi vitaux de son microcosme, le Coréen a transmis son affection au personnage principal de ses deux derniers films. Dans De nos jours (2023), il s’agissait d’un cinéaste contraint à un sevrage de ces deux substances. Ici, il met en scène Byungsoo (merveilleu­sement interprété par l’un de ses acteurs fétiches, Kwon Haehyo), un nouveau personnage de réalisateu­r atteint d’un mal mystérieux. Il continue pourtant d’enquiller verres de soju et cigarettes, malgré les remontranc­es de sa fille.

C’est avec elle qu’il rend visite à une vieille amie peintre, qui possède un immeuble de trois étages à Séoul, afin qu’elle la prenne sous son aile. Au bout d’une vingtaine de minutes, un petit air de guitare (composé par HSS, qui fait désormais presque tout, de l’image au montage en passant par le scénario) fait office de voyage dans le temps. On reste dans le même immeuble, mais à chaque nouvelle période de la vie de Byung-soo sont associés l’appartemen­t de l’étage du dessus et la fréquentat­ion d’un nouveau personnage féminin. Au plaisir du jeu temporel retrouvé – on ne l’avait plus vu le pratiquer depuis Le Jour d’après (2017) –,Walk Up associe les fragments du parcours amoureux d’un homme traité sans complaisan­ce. Critiqué par sa fille, qui éreinte l’homme derrière l’artiste, dépeint comme possessif et immature, le personnage, qui annonce d’ailleurs qu’il arrête le cinéma, s’élève pourtant au propre comme au figuré en découvrant, au dernier étage, une forme d’illuminati­on spirituell­e et de félicité amoureuse. Mais elles vont de pair avec un délabremen­t des lieux puisque l’appartemen­t qu’occupe Byung-soo, où des alarmes ne cessent de se déclencher, fuit de toute part, achevant de faire de cet immeuble une métaphore à la fois mentale et corporelle du personnage. Tout en y déployant les qualités habituelle­s de son cinéma, notamment cette façon de faire jaillir le sublime, l’intense et le profond au milieu du banal, du bénin et du trivial, Hong Sang-soo signe un film particuliè­rement habité, dont le sujet est même, au fond, l’habitation de soi.

Walk Up de Hong Sang-soo, avec Kwon Hae-hyo, Lee Hye-yeong, Park Mi-so (Cor., 2023, 1 h 37). En salle le 21 février.

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