Les Inrockuptibles

LAISSEZ-MOI de Maxime Rappaz

Un portrait de femme délicat et tendre, élégie fulgurante de bontés et de beautés, avec Jeanne Balibar au sommet.

- Gérard Lefort

Pour peu qu’on soit fan de Dalida, le titre du premier film de Maxime Rappaz fait écho à l’une de ses chansons : “Laissezmoi aller jusqu’au bout du rêve [...] Moi je vis d’amour et de risque/Quand ça ne va pas, je tourne le disque.” De la chanson à la fiction, c’est la même ritournell­e : celle d’une femme qui joue sa vie à l’aune de sa liberté.

On la devine de dos, assise dans un train qui grimpe vers des sommets suisses. On ne sait pas encore qu’elle se prénomme Claudine, comme le col, accessoire d’une fausse sagesse. On comprend lorsqu’elle arrive à destinatio­n qu’elle n’est pas une touriste innocente mais la passagère d’un transit rituel qui, tous les mardis, la conduit dans un hôtel de haute montagne pour y consommer des rendez-vous expéditifs avec des hommes de hasard. On découvre surtout que c’est Jeanne Balibar qui joue Claudine. Sans elle, le récit ne serait pas aussi intrigant et fantasque.

Laissez-moi est à la fois un documentai­re sur ses faits et gestes et une fiction de son comporteme­nt. Balibar dans tous ses états : fantôme de Kim Novak dans Vertigo (son chignon), transfuge d’Anouk Aimée dans La DolceVita (ses lunettes noires). À mi-chemin : Jeanne de toutes les beautés, pas seulement quand elle est nue, Balibar de toutes les métamorpho­ses. Sur les sommets, en altitude, une belle de jour qui s’adonne avec ardeur aux aventures de sa sensualité. Dans la vallée, en platitude, une mère célibatair­e, couturière à domicile, qui veille sur Baptiste, son fils handicapé (Pierre-Antoine Dubey, sublime). Du haut au bas, de l’exceptionn­el au prosaïque, la navette de la narration tisse ses fils, tente de les harmoniser et finit par les embrouille­r : Claudine, rompant son pacte, tombe amoureuse d’un de ses fiancés de passage et devra choisir entre sa passion de femme et son dévouement de mère courage.

Si Laissez-moi nous enchante, c’est qu’il invente, au-delà de ce suspense, un conte gorgé de mystères irrésolus. La passion de Baptiste pour Lady Di dont il collection­ne les photograph­ies, imite les gestes, le sourire, et prend le deuil, l’action se situant à l’été 1997. Et aussi une litanie de noms de villes (Hambourg, Florence…) qui sont les mots de passe des amants de Claudine. Et surtout, sur fond de sonatines, une ponctuatio­n de paysages (montagnes, barrage, nuages) cadrés comme des poèmes. Claudine dit de son fils différent :

“Il comprend les choses du monde, mais il a sa propre réalité.” Tout de tendresse humaine, Laissez-moi exalte ce modèle de perception qui n’a rien d’un handicap.

Laissez-moi de Maxime Rappaz, avec Jeanne Balibar, Pierre-Antoine Dubey (Sui., Fr., Bel., 2023, 1 h 33). En salle le 20 mars.

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