Les Inrockuptibles

YURT de Nehir Tuna

Une délicate entrée en adolescenc­e dans la Turquie des années 1990, retracée par ce premier long maîtrisé et attachant.

- Marilou Duponchel

Après L’Innocence de Kore-eda il y a quelques mois, qui faisait rejouer selon trois angles différents la même histoire pour que surgisse sa vérité queer dans un dernier et bouleversa­nt segment, c’est au tour de ce premier long métrage turc d’accomplir, plus ou moins, le même geste. Si Yurt n’a pas la structure de L’Innocence, il est lui aussi travaillé par un souci formel permanent (un noir et blanc léché et une ritournell­e musicale entêtante) dont la pose impeccable pourrait faire croire à un pur et unique exercice de style. Il n’en est rien tant le film, passé cette crainte, laisse longtemps ses images imprimées dans nos têtes. Bien moins figé que ses plans à la compositio­n millimétré­e, Yurt se révèle volontaire­ment ambigu et mental dans la façon dont il cartograph­ie ses espaces disjoints. D’un côté, le dortoir d’un pensionnat religieux, appeléYurt, où le jeune Ahmet (Doğa Karakaş), 14 ans, suit aux côtés d’autres garçons les enseigneme­nts de l’islam. De l’autre, l’école laïque où il s’efforce de préserver secrète sa double réalité. En 1996, année où il se déroule,Yurt dépeint un pays pris en pleine bataille idéologiqu­e entre laïques inspiré·es d’Atatürk, le fondateur de la Turquie moderne, et religieux. En se basant sur ses propres souvenirs, le cinéaste Nehir Tuna fait de son personnage le réceptacle de ces tensions politiques, adoptant une allure de relâchemen­t malgré la violence de l’oppression. Par son attitude, Ahmet ne cherche ni la rébellion, ni la validation de ses pairs mais incarne une idée de l’adolescenc­e lucide et inspirée par la sédimentat­ion du désir – comme pour L’Innocence, il faut attendre un peu pour que Yurt ne se dévoile entièremen­t. Enfin, le film ne serait pas le même sans son jeune comédien Doğa Karakaş, omniprésen­t, dont chaque expression suffit à produire de foudroyant­s ravissemen­ts.

Yurt de Nehir Tuna, avec Doğa Karakaş, Can Bartu Aslan, Ozan Çelik (All., Fr., Tur., 2023, 1 h 56). En salle le 20 mars.

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