Les Inrockuptibles

LES FEMMES QUI ME DÉTESTENT de Dorothy Allison

La découverte en français du tout premier livre de l’autrice de Peau, un recueil de poèmes d’une beauté lumineuse qui raconte son enfance pauvre, l’inceste, l’amour des femmes et la lutte.

- Marie Kirschen

Dorothy Allison a 34 ans quand elle publie Les Femmes qui me détestent, en 1983.Traduits pour la première fois en français quarante ans plus tard, ces poèmes nous arrivent à la faveur de la redécouver­te de l’oeuvre de l’écrivaine depuis la réédition de Peau par les éditions Cambouraki­s en 2015, suivie de Deux ou trois choses dont je suis sûre (2021) et Trash (2022). Ce recueil de poésie est le tout premier livre de Dorothy Allison, comme une matrice qui préfigure les principaux thèmes de ses futurs essais et romans. Il y a le sud prolo des États-Unis, dont elle est originaire. Ses poèmes redonnent vie à cette petite fille curieuse, au sein d’une famille certes fauchée, mais constituée d’une armée de femmes fortes. Il y a les “épis blancs de maïs doux”, les gombos, l’air saturé par les odeurs de scones au babeurre que lui prépare sa mère. Il y a la violence et l’inceste aussi, dont Allison a été victime enfant, avant de partir loin de sa Caroline du Sud natale pour fouler les rues de “la ville de NewYork dans sa plus froide décennie”.

Dans ces textes à la langue crue et tranchante, on croise aussi la route d’une foule d’amantes. Il y a celle qui ment, celle qui se plaint du silence, celle qui la laisse “pleurer comme personne ne [l’]avait encore jamais laissée pleurer”.

Les mots de Dorothy Allison font des merveilles quand elle décrit sa passion pour “les femmes aux hanches fermes débordant de désir”,“dont la langue lèche le sel à la surface de [sa] peau”.

Les femmes, plus généraleme­nt, sont omniprésen­tes dans l’oeuvre de l’écrivaine : outre les amantes, il y a ses soeurs, sa grand-mère, ses amies de lutte… Mais qui sont donc celles qui ont les honneurs du titre du recueil ? L’autrice de L’Histoire de Bone s’adresse ici plus particuliè­rement à celles qui l’ont brutalemen­t prise à partie lors des sex wars,

ces luttes qui ont divisé les féministes américaine­s à la fin des années 1970 et au début de la décennie suivante. Les sujets de la discorde : la pornograph­ie, le travail du sexe ou encore les pratiques BDSM, vus comme intrinsèqu­ement misogynes par un camp, mais investis de manière féministe par l’autre. À l’époque, Dorothy Allison est étudiante en anthropolo­gie urbaine, à New York, et milite avec un collectif au nom qui claque, la Lesbian Sex Mafia, au sein duquel on discute BDSM et fétichisme. Ces affronteme­nts, très violents, laissent des blessures vives dans la mémoire d’un bon nombre de militantes. Dorothy Allison, elle, en fait de la poésie, comme le détaille la longue postface bien documentée de l’édition française. La poétesse pointe du doigt, à son tour, ces femmes qui la détestent sans même la connaître, et qui font naître en elle ce feu :“Je déborde de bravade, de terreur et de furie”, tempête-telle. Malheureus­ement pour elles, les femmes qui la détestent

“ne peuvent imaginer/ la précieuse bravade qui sauve la vie”.

Les Femmes qui me détestent de Dorothy Allison (Hystérique­s & AssociéEs), traduit de l’anglais (États-Unis) par Noémie Grunenwald, 128 p., 16 €. En librairie le 8 mars.

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