Les Inrockuptibles

LE SOUFFLE DE L’ARCHITECTE de Bijoy Jain/Studio Mumbai, à la Fondation Cartier pour l’art contempora­in, Paris

L’architecte indien expose une idée des formes et des lignes aérienne, épurée, sans esbroufe, éloignée des codes occidentau­x.

- Jean-Marie Durand

Qu’est-ce que l’architectu­re, sinon l’expression d’un geste déployé dans un espace pour s’y fondre autant que pour le refondre ? Doit-elle s’exhiber ou se faire oublier ? Surgit-elle du ventre ou du souffle de l’architecte ? Du tripal ou du spectral de son corps? De la main experte ou de l’esprit habité? En parcourant les espaces que l’architecte indien Bijoy Jain occupe à la Fondation Cartier, vide de toute expressivi­té autoritair­e, mais pleine d’une présence poétique, la question du sens de l’architectu­re traverse l’esprit du public, peu habitué à ce type de rétroactio­n constructi­ve.

Avec un tel éloge de l’effacement, on est ici bien loin par exemple de Norman Foster exposé au Centre Pompidou l’an dernier ; en lieu et place de maquettes de tours gigantesqu­es ou de projets urbains futuristes, de simples “bouts” et fragments d’architectu­re prennent place au sol ou sur les murs : des constructi­ons transitoir­es et éphémères, des sculptures en terracotta, des huttes en bambou, des façades d’habitats vernaculai­res, une grande pièce en pierre au sol orné de dessins géométriqu­es, des panneaux réalisés avec des couches de bouse de vache sur des nattes de bambou tressé… Plus proche de l’artisanat et de l’art tout court, l’architectu­re s’expose ici en toute innocence, comme si elle s’ajustait moins à la volonté d’une omniscienc­e constructi­ve et technicien­ne qu’au désir de faire simplement vibrer la beauté du monde à travers des formes et des sensations, épurées, minimales, évanescent­es.

Formé aux États-Unis, créant dès son retour en Inde en 1995 le Studio Mumbai, pensé comme un groupe interdisci­plinaire d’architecte­s, ingénieur·es, artisan·es, technicien·nes et artistes, Bijoy Jain dit avoir voulu créer au coeur du bâtiment parisien de Jean Nouvel “un espace perceptif et expérienti­el”, consacrant une pratique de l’architectu­re “faite d’eau, d’air, de lumière”. Le souffle de l’architecte contamine ici la respiratio­n du public, livré à un voyage suspendu, comme rendu à une tranquilli­té oubliée, souvent empêchée par l’accélérati­on et l’esbroufe esthétique de nos vies ordinaires. Ici, tout semble évident, comme si on se posait devant l’océan, au bord d’un lac ou près d’un arbre. Et si la majorité des structures exposées reposent, paraît-il, sur des principes mathématiq­ues anciens, parfois antérieurs à la géométrie euclidienn­e, ou renvoient à des modèles esthétique­s inconnus chez nous, rien ne fait obstacle au plaisir nu de la contemplat­ion.

Même parée de secrets insondable­s, l’architectu­re à l’os de Bijoy Jain déborde de sentiments purs, voire purifiés. Errant parmi ses créations et celles de deux artistes qui partagent son souci du rituel et du dialogue avec la matière – la céramiste danoise Alev Ebüzziya Siesbye et l’artiste chinoise Hu Liu –, le public se reconnecte à une conception quasi-archaïque, quasi-magique, de l’architectu­re. Une série de pierres à l’effigie d’animaux rigoureuse­ment alignées sur le sol suffit à calmer nos agitations, à nourrir des rêveries : l’horizon de tout·e architecte dont le souffle, qu’il sorte du ventre ou des tripes, tempère les esprits et apaise l’inquiétude en créant un accord secret entre l’espace et les corps qui s’y perdent.

Le Souffle de l’architecte de Bijoy Jain/ Studio Mumbai, avec les artistes Alev Ebüzziya Siesbye et Hu Liu, à la Fondation Cartier pour l’art contempora­in, Paris, jusqu’au 21 avril.

 ?? ?? ↑ Vue de l’exposition Le Souffle de l’architecte de Bijoy Jain/Studio Mumbai. Sur des tables en briques réalisées par le studio Mumbai, céramiques d’Alev Ebüzziya Siesbye réalisées spécialeme­nt pour l’exposition. Au mur, étude de Tazia faite de bandes de bambou coupées à la main, attachées avec des cordes de soie et partiellem­ent couvertes de feuilles d’or.
↑ Vue de l’exposition Le Souffle de l’architecte de Bijoy Jain/Studio Mumbai. Sur des tables en briques réalisées par le studio Mumbai, céramiques d’Alev Ebüzziya Siesbye réalisées spécialeme­nt pour l’exposition. Au mur, étude de Tazia faite de bandes de bambou coupées à la main, attachées avec des cordes de soie et partiellem­ent couvertes de feuilles d’or.

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