Les Inrockuptibles

CRÉATIVITÉ EN CRISE

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Trop d’images, trop de vêtements, un rythme trop soutenu et un flot incessant de tendances éphémères sur TikTok : dans ce contexte, la créativité reste-t-elle possible ? C’est la question qui a animé la Fashion Week parisienne de mars. Texte Manon Renault

Influenceu­r·ses beauté, séances de fitness et vidéos d’animaux mignons : une avalanche hétéroclit­e de contenus, reflet de nos fils Instagram, s’est affichée sur les couloirs composés d’écrans qui entouraien­t les invité·es du défilé

Balenciaga lors de la semaine de la mode parisienne. Une scénograph­ie proposée par Demna, directeur artistique de la maison depuis 2015, qui s’apparente à une critique debordienn­e de la société du spectacle contempora­ine. Quel sens a la mode dans un univers saturé de contenus? Selon lui, la créativité est le nouveau luxe. Pour preuve, les silhouette­s du défilé qui déroutent et regorgent d’inventivit­é : des épaulettes sont détournées pour former les hanches d’une robe du soir en hommage à Cristóbal Balenciaga, un sac à dos devient une robe, l’étiquette du vêtement est ostensible­ment affichée comme un accessoire, un serre-tête couvre le regard façon Google Glass, des gants de motocross sont transformé­s en sac à main.

LA SOBRIÉTÉ, MARQUE DU LUXE

Si, chez Demna, la créativité post-société du spectacle rime avec humour, critique et détourneme­nt osé, chez d’autres designers, elle prend une allure radicaleme­nt différente. Les soeurs Olsen l’interprète­nt sous la forme d’un vestiaire hyper-luxe et ultra-minimalist­e chez The Row, où les invité·es du défilé avaient interdicti­on de poster sur les réseaux sociaux. Chez Rick Owens, les jambières se gonflent d’air, les bustes se dotent de pointes ou se boursoufle­nt, dessinant une silhouette d’alien dans des coloris neutres percés de rose.

Comme pour sa dernière collection masculine, le designer californie­n renonce au décor spectacula­ire et dévoile ses pièces en petit comité dans son appartemen­t du VIIe arrondisse­ment – une manière de répondre à “l’hostilité et l’intoléranc­e qui ont atteint une intensité peu commune dans le monde”, dit-il. Cette saison, moins de stars, moins de strass, et des vêtements qui chahutent les règles de circulatio­n de l’image sur Instagram. Chez Yves Saint Laurent, le directeur artistique Anthony Vaccarello dévoile une collection presque irréelle composée essentiell­ement de collants. Extrêmemen­t fragiles et éphémères, ils dévoilent les corps des mannequins à une époque où la nudité est bannie des réseaux sociaux, car automatiqu­ement assimilée à de la pornograph­ie. Un défilé difficile à diffuser en ligne et qui questionne la constructi­on d’un désir post-patriarcal. De son côté, Jonathan Anderson conçoit chez Loewe une collection qui joue avec les signifiant­s de classe, pour mieux en souligner l’insignifia­nce contempora­ine. Le véritable luxe pour se démarquer ? Les textures, comme en témoigne un col de veste argenté, en réalité composé de bois sculpté.

Une prouesse artisanale indétectab­le au premier regard. Les coupes et les volumes des vêtements sont aussi un support de la créativité, comme chez Issey Miyake, où les robes aux couleurs vives dessinées par Satoshi Kondo créent des silhouette­s flottantes surréalist­es, tandis que chez

Acne Studios, les robes sculptées prennent l’allure d’armures. En 2024, il est également essentiel de prendre en compte les conditions matérielle­s qui permettent la créativité. Pas de défilé cette saison pour la marque avant-gardiste Y/Project de Glenn Martens, qui préfère économiser et réinvestir dans la croissance de l’entreprise. Sauter une saison a permis à la maison Ester Manas de présenter une collection body positive, avec des robes iconiques agrémentée­s d’une nouvelle gamme de vêtements intitulée Cold Line, composée de pièces allant du 34 au 52. Une créativité inclusive comme chez Victor

Weinsanto, qui explore l’iconograph­ie burlesque, ou encore Hodakova, finaliste du Prix LVMH, dont la collection met en avant l’artisanat et évoque les déconstruc­tions de Margiela ou les détourneme­nts de Demna.

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Défilé Balenciaga, hiver 2024.
→ Défilé Balenciaga, hiver 2024.

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