Les Inrockuptibles

ONLY GOD WAS ABOVE US

- De Vampire Weekend Valentin Gény

Cinq ans de maturation ont été nécessaire­s à la bande d’Ezra Koenig pour repousser les limites de sa créativité et à nouveau tutoyer les cieux.

On ne juge pas un disque à sa couverture, mais il faut bien admettre que la pochette du nouveau Vampire Weekend, dévoilée début février pour annoncer le grand retour des Américains, n’a pas manqué de faire monter l’excitation d’un cran. Comme si le choix graphique voulait déjà signifier l’importance du contenu. Comme s’il se devait d’imposer le ton, offrir d’emblée un cadre à ce qu’il renferme pour s’y confondre. Le groupe avait lui-même prévenu : “Ezra a écrit ce qu’il considère être sept de ses dix meilleures chansons jamais écrites. Et je sens que cet album pourrait peut-être être notre meilleur à ce jour. Dix chansons, aucune esquive”, déclarait le batteur Chris Tomson en juin 2023 dans un message glissé à l’intérieur d’une série d’enregistre­ments live, disponible uniquement en vinyle à pressage limité.

C’est donc par l’intermédia­ire d’un cliché du photograph­e Steven Siegel, instantané d’une épave de métro échouée à la fin des années 1980 dans un cimetière de tôles sur les bords de Jersey City, que Vampire Weekend plante le décor de son cinquième album. L’image est brute, délavée, à l’instar des graffs qui ornent les parois de cette rame en déliquesce­nce. Ses couleurs sont pâles, presque inexistant­es. Ses sujets, silhouette­s aux faux airs de voyageurs imaginaire­s, brouillent les pistes. Tout tend alors vers une perte de repères, quelque part entre l’urbain et le divin, ce que semble confirmer la formule lisible en une du journal présent au premier plan et auquel le disque emprunte son titre : “Only God Was above Us.” Plus encore, c’est surtout le fantôme de New York qui se dessine en filigrane, ville monstre qui aura vu grandir ces vampires depuis le milieu des années 2000, elle qui renferme leurs souvenirs et continue de les inspirer pour produire le meilleur.

Onze ans après le surprenant Modern Vampires of the City (2013), qui s’était soldé par le départ du claviérist­e et producteur Rostam Batmanglij, et après le déménageme­nt d’Ezra Koenig à Los Angeles et l’Americana faussement solaire de Father of the Bride (2019), Vampire Weekend renoue avec une certaine frénésie new-yorkaise. En résulte un disque minutieuse­ment produit, façonné pendant cinq ans avec le fidèle metteur en son Ariel Rechtshaid, où résonnent toujours les guitares et percussion­s venues d’ailleurs (Connect, Pravda), bousculées par une ambition décuplée et des sonorités locales faites de jazz, de hip-hop et de proto-punk. Only GodWas above Us s’entend alors comme une mutation de Modern Vampires of the City, où le trio transposer­ait ses angoisses passées de prétrenten­aires vers un questionne­ment plus maturé, cristallis­é entre ferveur pleine de fuzz (Ice Cream Piano, Gen-X Cops) et mélancolie cosmique

(les superbes The Surfer et le grand finale Hope, sans oublier la fabuleuse Mary Boone et ses emprunts à Debussy). Le titre de ce cinquième album ne pouvait donc pas mieux sonner. Vampire Weekend tutoie encore les cieux.

Only GodWas above Us (Columbia/ Sony Music). Sortie le 5 avril.

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