Les Inrockuptibles

Le réalisateu­r de La Fille au bracelet déploie un thriller carcéral dans lequel Hafsia Herzi, mystérieus­e et insaisissa­ble, nous ravit à nouveau.

- BORGO de Stéphane Demoustier Ludovic Béot

C’est une prison bien étrange, et pour cause. L’unité 2 du centre pénitentia­ire corse de Borgo fonctionne à régime ouvert. Pendant toute la durée du jour, les portes des cellules sont laissées béantes et les prisonnier­s – tous des hommes corses – sont libres de circuler de pièce en pièce.

Dès les premières minutes, la mise en scène de Stéphane Demoustier renverse l’idée du champ panoptique rendu possible par le fonctionne­ment carcéral. La domination par le regard n’est plus monopolisé­e par le gardien qui épie à travers l’oeilleton d’une cellule. Cette surveillan­ce est désormais partagée. Ou plus que ça : “Ici, ce sont les détenus qui surveillen­t les gardiens et non l’inverse”, avouera la directrice du centre à Mélissa (Hafsia Herzi), une jeune surveillan­te fraîchemen­t arrivée de Paris. Hitchcocki­en par excellence, ce renverseme­nt du voyeur ou de la voyeuse devenu·e objet du regard, et donc potentiell­ement en danger, va lancer avec force toute la matière de thriller de Borgo. Regardée, surveillée en permanence, Mélissa se transforme en grande soeur autoritair­e mais empathique qui décide de prendre soin des détenus (elle rigole avec eux, leur fait passer des cigarettes). Le trouble s’installe à l’image et complexifi­e le rapport de force : la surveillan­te souhaite-t-elle simplement instaurer une certaine humanité dans son travail ou veut-elle faciliter son intégratio­n ? Alors que son implicatio­n criminelle se concrétise, cette question va progressiv­ement glisser vers une autre : est-elle l’objet d’une instrument­alisation ou complice? À chaque image, Borgo accepte d’être devant ce mystère qu’il n’arrive pas à percer. Son autre merveilleu­x mystère, c’est Hafsia Herzi qui, quelques mois après Le Ravissemen­t d’Iris Kaltenbäck, prolonge un motif passionnan­t sur le mensonge. Dans les deux films, ses protagonis­tes se projettent dans la vie de quelqu’un d’autre et bientôt vont croire à leur propre mythomanie. Tout en contrepoin­t et contradict­ion, le personnage herzien est si insaisissa­ble que l’on ne sait jamais si le mensonge qu’il emmène est subi ou s’il a une véritable jouissance à le porter. L’instructio­n judiciaire, dont on suivra par intermitte­nce le point de vue, se retrouve face à l’abyme. Les deux inspecteur­s (Michel Fau et Pablo Pauly) auront beau récolter une multitude d’angles de caméra de sécurité (le film résume son enquête à un huis clos fondé sur l’analyse d’images de surveillan­ce), le mystère restera non résolu. Et même lorsque les deux enquêteurs passeront des vidéos au réel lors d’un interrogat­oire, ils n’arriveront pas à faire parler Mélissa. Car que peut-on faire dire à un mensonge qui dit la vérité ?

Borgo de Stéphane Demoustier,

avec Hafsia Herzi, Moussa Mansaly, Florence Loiret Caille

(Fr., 2023, 1 h 58). En salle le 17 avril. Retrouvez Le Questionna­ire d’Hafsia Herzi p.14.

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