Les Inrockuptibles

BLACK LABEL de David Bobée et JoeyStarr

Ce spectacle polymorphe propose une traversée de la littératur­e antiracist­e, d’Aimé Césaire à Léon-Gontran Damas en passant par Lisette Lombé.

- Fabienne Arvers

“Cette nuit il se passe quelque chose/ La poésie est une arme de constructi­on massive”, assène Souleymane Diamanka, slameur poète, auteur de l’un des vingttrois textes qui composent ce projet polymorphe. À la fois concert, lecture poétique, chansigne et danse, Black Label

réunit des écrits antiracist­es, des Afrodescen­dant·es à Black Lives Matter, en un geste singulier où la colère le dispute à la beauté. Bien plus qu’un spectacle, c’est un soulèvemen­t qui prend forme sous nos yeux pour réaffirmer avec force ce qu’annonçait en 1222 Soundiata Keïta dans la charte du Manden : “Toute vie est une vie.”

C’est aussi incommensu­rablement simple que ça.

Et pourtant, de la traite négrière aux violences policières, de la colonisati­on à la chasse au faciès, le racisme répand encore et toujours son poison mortifère. À un désir politique fort, celui d’opposer la colère des “humanités révoltées” à la haine, David Bobée et JoeyStarr associent un acte artistique magistral porté par quatre interprète­s.

Sur un plateau nu, la voix légère, caressante et cristallin­e de la chanteuse et musicienne jazz Sélène Saint-Aimé alterne avec celles âpre et rocailleus­e de JoeyStarr ou profonde et grave de Nicolas Moumbounou, silhouette puissante, calme, dansant la révolte avec la retenue de celui qui incarne une souffrance collective. Et les réunissant tous·tes, avec l’incandesce­nte légèreté d’un elfe dansant, il y a Jules Turlet, chansigneu­r qui traduit en langue des signes chacun des mots prononcés et leur donne une dimension corporelle, une écriture gestuelle propre à harmoniser et à relier la diversité des textes avec celle des images d’archives qui défilent en arrière-plan, comme autant de pièces à conviction des outrages subis depuis des siècles.

La beauté de Black Label réside dans cette pluralité des textes entendus : de Léon-Gontran Damas qui donne son titre au spectacle à Aimé Césaire, Langston Hughes, Malcolm X, Tracy K. Smith, Eva Doumbia ou Lisette Lombé qui en cristallis­e l’enjeu et la nécessité de les faire entendre : “Alors oui, d’accord, on écrit de beaux poèmes, mais so what ? Oui, oui, d’accord, on se lève ! Mais pour aller où ?” (Cycloparad­e, extrait de Brûler, brûler, brûler). Partout où c’est nécessaire. Vers la jeunesse, surtout, pour éviter le pire qui nous guette. La force de frappe de Black Label, c’est de nous parler d’ici et maintenant, qui est le propre du théâtre : “Du haut de ma colère/Je balaie, je combats puis/

L’un après l’autre, de mes mots j’abats le Front national et ses idées nauséabond­es/ Avec ma gueule de métèque/ Héritier de l’horreur/Je suis noir/Et une leçon pour l’histoire, mon devoir de mémoire.”

Ce texte-là, signé JoeyStarr, est une banderille plantée dans l’arrogance d’une extrême droite qui gagne du terrain.

Black Label conception et mise en scène David Bobée et JoeyStarr, avec JoeyStarr, Nicolas Moumbounou, Sélène Saint-Aimé, Jules Turlet. Au festival Mythos, Rennes, le 6 avril ; aux Nuits de Fourvière, Lyon, le 2 juin.

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