L'Express (France)

“Nous ne sommes pas aveugles”

Les gilets jaunes vus par la France d’en haut… L’essayiste répond au géographe Christophe Guilluy et analyse le mouvement.

- Propos recueillis par Corinne Lhaïk

l’express Vous avez réagi à l’interview de Christophe Guilluy dans L’Express du 28 novembre. Pourquoi ?

Alain Minc J’ai réagi en bien ! Cela m’a amusé que vous le qualifiiez d’«Alain Minc de la France d’en bas » car, à sa manière, il est autant France d’en haut que moi! Plus sérieuseme­nt, c’est quelqu’un dont les travaux ont contribué à faire muter le regard sur le pays. Longtemps, on a pensé que la France ressemblai­t à une immense classe moyenne, le « 2 Français sur 3 » que voulait Giscard. Puis on a découvert qu’il y a une autre France, celle des quartiers, des banlieues, et elle est devenue obsessionn­elle. Guilluy nous aide à comprendre qu’il y a trois France. Celle ouverte au monde, la France des métropoles; celle des quartiers, ghettoïsée; et celle qu’il décrit comme « périphériq­ue ». C’est une évolution commune à tous les pays grands par la taille : il n’y a pas de Pays-Bas périphériq­ues. C’est l’espace qui compte, on le voit bien dans le conflit actuel. Il comporte une dimension psychologi­que à laquelle il est presque plus difficile de répondre qu’à une réalité factuelle. Le vote Le Pen est à cet égard un révélateur. Au second tour de la présidenti­elle, Macron totalise 90 % des voix à Bordeaux et autant à Toulouse. Le Lot-et-Garonne se situe à une heure d’autoroute et de l’une et de l’autre ville, on ne peut donc pas parler d’exclusion, et, dans ce départemen­t, Marine Le Pen arrive en tête.

Vous qui incarnez la France d’en haut, c’est ça votre analyse du mouvement actuel ?

A. M. Je n’incarne pas la France d’en haut, mais celle des métropoles, la France ouverte au monde et qui se sent bien, en France, dans l’Europe, dans le monde. Mais nous ne sommes pas aveugles. Vous allez me dire : vous n’avez rien vu venir ! Pas plus que le reste du pays. Encore que dans un récent entretien à Libération (8 juillet), j’ai dit que ça allait péter [NDLR : « L’inégalité est trop forte, nous risquons une insurrecti­on »]. Il y a un problème objectif et on n’est pas en train de le traiter : la France périphériq­ue souffre d’une hausse du budget transport. Il ne faut pas toucher à la taxe sur les carburants, mais il y a quelque chose à faire. On ne termine pas un conflit sans mettre de l’argent sur la table. Les pouvoirs publics devraient convoquer les syndicats et le patronat pour mettre sur pied une contributi­on des entreprise­s au transport de leurs salariés en province. Comme cela existe à Paris avec le « versement transport ». A très court terme, on peut créer une avance de trésorerie au profit des salariés, qu’ils rembourser­aient quand le prix du pétrole aura baissé.

ON NE TERMINE PAS UN CONFLIT SANS METTRE DE L’ARGENT SUR LA TABLE

Vous croyez que c’est une bonne idée de dire aux gens : « Vous allez rembourser » ?

A. M. C’est mieux que rien car, pour les employeurs, il ne faut pas que ce soit une charge. Les modalités de l’aide pérenne, elles, se négocient. L’Etat en a fait assez pour les entreprise­s, depuis un certain temps, pour pouvoir les solliciter au nom de l’intérêt général.

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Propositio­n Pour Alain Minc, il faut « mettre sur pied une contributi­on des entreprise­s au transport de leurs salariés en province ».

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