SINGLE GRAIN, LA REVANCHE
ean-Marc Bellier, directeur de la Maison du whisky, à Paris, s’en souvient avec une émotion intacte : « C’était au cours du Whisky Live 2005. Nous découvrions un flacon exceptionnel : Cameron Brig D 79, Single Grain de 26 ans d’âge (1979), qui défraya immédiatement la chronique. Une bombe qui remit en place les idées reçues sur ces whiskys un peu délaissés, seulement bons a priori à composer la plupart des blends. » Soit un de ces scotchs non tourbés et tout en subtilité, issu de l’une des plus anciennes distilleries d’Ecosse, Cameronbridge, dans les Lowlands.
Si un whisky est d’ordinaire composé d’orge, un single grain désigne une eaude-vie issue en majorité de maïs ou de blé (51 % minimum), et de 10 % d’orge maltée nécessaire à la fermentation. Aujourd’hui, ces whiskys se haussent du col, car nombre de distilleries ont eu la (bonne) idée de les laisser
Jvieillir. « Les single grain présentent une complexité époustouflante plus ils avancent en maturité. Ils intéressent ainsi les amateurs avertis, pour leur finesse alliée à une belle puissance, précise Jean-Marc Bellier. Ils sont moins tendus en vieillissant, moins nerveux aussi. Et gagnent en souplesse, en vanillé et en saveurs de fruits exotiques et d’agrumes. Leur fraîcheur est également considérable. » Ewan Gunn, ambassadeur mondial du whisky écossais pour Diageo, confirme à sa manière : « Les single grain constituent le joyau caché de l’Ecosse. »
Et bien au-delà. Au pays du SoleilLevant, notamment, où Nikka, la plus connue des distilleries japonaises, propose un single grain (90 % maïs) surprenant de douceur. « Les whiskys issus de maïs, naturellement onctueux, ont jusqu’à maintenant eu la préférence des amateurs, relève JeanMarc Bellier. Mais le goût évolue et il semblerait que le blé, moins rond et herbacé, prenne sa revanche dans le petit monde des single grain. » Chez Haig, par exemple, la nouveauté s’appelle Clubman. Ce single grain élaboré avec 91 % de blé est parrainé par le footballeur David Beckham, qui le boit «on the rocks, comme [son] grand-père ». La création de Chris Clark, maître distillateur du groupe Diageo, excite déjà mixologues et millennials (la cible), avec ses notes vanillées données par un passage en fûts de bourbon.
Cependant, les connaisseurs privilégient les vieux flacons de grain, 2530 ans d’âge – dont le rapport qualitéprix se révèle excellent, comparé à celui des single malt –, ainsi que les perles rares, comme le Compass Box Hedonism 43 % (87 €), signé John Glaser, élu meilleur whisky de grain du monde en 2008 : un miracle vanillé, vernis, beurré, d’agrumes, de poire confite, de girofle, de fleurs blanches, d’herbes, d’épices, de noix de coco… Maïs et orge sont la colonne vertébrale de cette expression de l’élégance spontanée.