Libération

Egypte : «Ils nous ont demandé de renoncer à Dieu, puis le massacre a commencé»

«Libération» a pu se rendre dans le village de Nazlet Hanna, qui pleure la mort de sept habitants coptes. Ils ont été assassinés vendredi par l’Etat islamique lors de l’attaque d’un bus de pèlerins, qui a fait 29 morts.

- Par ÉRIC DE LAVARÈNE Envoyé spécial à Nazlet Hanna (Egypte)

Mariam n’a plus la force de se tenir debout. On la soutient pour qu’elle puisse marcher. Aller à l’église, prier, se recueillir avec les siens, tous ces moments autrefois si habituels sont maintenant empreints de souffrance. «Ils m’ont pris mon frère. Ils lui ont tiré une balle sous le menton puis une autre dans le coeur», dit-elle dans un dernier filet de voix. On l’entend à peine, ses yeux tournés vers le ciel, les mains tendues vers le souvenir de son frère quand il lui souriait encore quelques minutes avant de monter dans le bus. Comme des dizaines d’autres chrétiens, le jeune homme se rendait vendredi, veille de ramadan, en pèlerinage au monastère Saint-Samuel, à environ une heure trente de là, en plein désert. Ils sont tombés dans une embuscade, revendiqué­e dès le lendemain par l’Etat islamique. «Une dizaine d’hommes masqués et armés nous ont coupé la route. Ils nous ont demandé de renoncer à Dieu. On leur a dit non, il n’en est pas question. Alors le massacre a commencé», raconte de son côté une femme qui n’est plus que l’ombre d’elle-même, après avoir perdu une partie de sa famille. Bilan : 29 morts et 25 blessés.

«Nos martyrs». Ici, à Nazlet Hanna, bourg d’environ 6 000 âmes situé à moins de 200 km au sud du Caire, les larmes ont envahi les rues. Sept pèlerins ne sont pas revenus, cinq sont à l’hôpital. Les femmes, drapées dans de longues robes sombres, le visage souligné d’un voile noir, portent désormais le deuil. A la sortie de l’église, le père Pernaba Fawzi Hanine tente de rassurer les fidèles: «Nous devons être fiers de nos morts. Aucun d’entre eux n’a renié Dieu. Ils sont morts en croyants. Ce sont nos martyrs.» Mais en aparté, ses propos sont plus nuancés. «J’éprouve un très grand chagrin. C’est la première fois que nous subissons une telle violence», confie le prêtre, dont la barbe grise file le long d’un gros collier de bois au centre duquel figure une image du Christ en croix. Cellule dormante ou groupe venu de Libye, à plus de 500km de là? En l’absence de réponse, les autorités égyptienne­s ont décidé de bombarder les environs de Derna, ville de l’Est libyen face à la Méditerran­ée, sous la coupe de brigades islamistes depuis 2014. L’aviation égyptienne, épaulée par des combattant­s libyens sur place, a effectué plusieurs raids contre des camps d’entraîneme­nt par lesquels seraient passés, selon l’état-major égyptien, ceux qui ont commis le massacre de vendredi. Mais à Nazlet Hanna, on ne comprend pas bien à quoi peut servir un tel déploiemen­t de force. «Il y a un peu plus de deux ans, Daech a égorgé 21 travailleu­rs égyptiens, des Coptes, en Libye. Notre armée a lancé des raids contre des camps de jihadistes en représaill­es. Qu’est-ce que ça a changé pour nous ? Rien. Nos autorités doivent désormais intervenir pour changer les mentalités, pas pour bombarder un pays voisin», s’insurge le père Pernaba Fawzi Hanine.

De nombreux jeunes du village pointent du doigt le discours extrémiste qui a gagné les provinces pauvres au sud du Caire. Pour Samuel, 24 ans, qui a perdu un ami dans l’attaque de vendredi : «Le gouverneme­nt a abandonné notre région. Depuis longtemps. Des associatio­ns caritative­s islamistes ont pris le relais avec un objectif très clair : répandre les idées désormais développée­s par Daech.»

«Des infidèles». Sur les réseaux sociaux, certains messages envoyés après l’attaque témoignent de cette haine rampante: «Morts de Minya, bon début de Ramadan», ou encore «Avec ces chrétiens tués, le Ramadan commence bien». Dans ces provinces conservatr­ices, qui abritent les deux tiers des Coptes d’Egypte, la population est souvent peu éduquée et les divisions plus marquées qu’ailleurs dans le pays entre chrétiens et musulmans, riches et pauvres, citadins et paysans. C’est ici, par exemple, qu’est née dans les années 70 la Jamaa al-Islamiya, groupe extrémiste sunnite qui a commis de nombreux massacres contre les coptes et contre des touristes étrangers. «Le fanatisme n’a jamais disparu», soutient Samuel. La nuit tombe à Nazlet Hanna. Dans l’église, le défilé de femmes en noir ne s’arrête pas. Mariam, de son côté, hausse le ton : «Ces tueurs sont tous des infidèles. Ce sont eux les infidèles», avant de retomber, hagarde, dans le silence, les yeux rougis. Une femme à ses côtés lui caresse doucement le visage, essuie ses larmes. Ces petits gestes du quotidien, c’est tout ce qui reste pour réconforte­r la jeune femme dont le frère est devenu, vendredi, une nouvelle victime de cette violence aveugle dans laquelle l’Egypte et sa communauté chrétienne s’enfoncent malgré elles.

Dans les chanceller­ies du Caire, on s’attend à d’autres attaques et on commence à évoquer de possibles actions contre les intérêts étrangers en Egypte. «Ce serait une suite logique de ce qui se passe dans le pays depuis six mois», admet un diplomate qui poursuit: «Nous sommes très inquiets. L’Etat islamique a monté vendredi une opération militaire. Ses combattant­s étaient bien renseignés, entraînés. Ils connaissai­ent l’endroit et ont réussi à s’enfuir tranquille­ment. Daech ne s’arrêtera pas là.» •

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PHOTO MOHAMED EL-SHAHED. AFP A l’enterremen­t de victimes de l’attentat, vendredi, dans la ville de Maghagha.
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