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Roland-Garros Paul-Henri Mathieu, ultime blessure

Sur décision de la fédération, le Français a dû passer par les qualificat­ions pour participer à son dernier tournoi porte d’Auteuil. Une situation vécue difficilem­ent par un des favoris du public, qui apprécie sa simplicité et sa déterminat­ion.

- Par GRÉGORY SCHNEIDER

On sait bien que le Français Paul-Henri Mathieu rentrera dans le grand tableau de Roland-Garros ce lundi face à la tête de série numéro 10 du tournoi, le Belge David Goffin, l’un de ces merveilleu­x stylistes dont la cote parmi les joueurs eux-mêmes dépasse de beaucoup ses mérites sportifs. Pourtant, Mathieu a bel et bien fini son tournoi vendredi, dans une petite salle d’interview, une petite heure après un ultime succès en qualificat­ions conclu avec son fils de 5 ans dans les bras, auquel il glisse la phrase suivante : «Tu vois, personne ne pouvait priver papa d’un dernier Roland-Garros.» Pas même le président de la Fédération française de tennis (FFT), Bernard Giudicelli? Pas même lui: c’est le sens du combat de Mathieu, 35 ans, une vie de tennis à rentrer la tête la première dans tous les murs qui passent à portée. L’affaire s’est tramée le 16 mai, jour de délivrance des «wild cards», ces tickets d’entrée directe dans le tableau décernés par la fédération à des joueurs ne comptant pas parmi les cent premiers mondiaux valides, directemen­t qualifiés. Mathieu est 119e : blessé à la hanche en début d’année, il est resté huit semaines sans jouer, ce qui l’a empêché d’engranger les points nécessaire­s pour accéder au tournoi. Mais une wild card l’attend, il en est sûr : le prix d’une carrière émaillée de victoires ou de défaites héroïques porte d’Auteuil, un troisième tour face à un Rafael Nadal au sommet de son art en 2006, un cinquième set épique (18-16) remporté contre le phénoménal serveur américain John Isner en 2012, ces épopées doloristes – pas une partie de son corps qui ne l’a pas fait souffrir en quinze ans– bouclées devant un public en fusion et animant une première semaine où les favoris passent au large. Vendredi, Mathieu a résumé sa carrière ainsi : «Roland-Garros a été le moteur de ma vie. A peine éliminé, je pensais déjà au suivant.» Le 16 mars, il est à peine attentif au déroulé des nominés par Giudicelli sur le Facebook live de la FFT, un canal ouvert remplaçant la traditionn­elle conférence de presse et présentant l’avantage d’économiser les questions indélicate­s aux édiles. Mathieu est donc tombé de l’armoire. Après avoir expliqué qu’il se retirait là-dessus, il s’est inscrit en qualificat­ions comme on monte le Golgotha: «Ça m’a demandé beaucoup, beaucoup d’humilité.»

LES CODES DU SPORT NIÉS

On touche alors au coeur de l’affaire. Le public adore ces histoires d’injustices, de souffrance­s, de précipices que l’on toise en se tenant tout au bord : on se demande bien ce que Mathieu avait à perdre en cultivant son martyr sur des courts annexes en qualificat­ions, une semaine avant que Novak Djokovic et consorts entrent en piste. Mais le monde du tennis ne voit pas les choses comme ça. Lui voit un ex-numéro 12 mondial (en 2008) et un type qui a énormément donné sans toujours beaucoup recevoir, pas un joueur qui boucle sa carrière en se faisant sortir avant le début de Roland-Garros par un Japonais écumant les tournois challenger­s (l’antichambr­e du grand circuit) à l’année.

Mathieu en convenait : «C’était du 50-50. La moitié des joueurs ou anciens joueurs que j’ai eus au téléphone m’ont dit de ne pas y aller. Je ne suis pas un joueur de qualificat­ions. Je me sentais capable d’accrocher la deuxième semaine si j’avais obtenu une wild card. Je suis peutêtre le seul à penser ça mais peu importe, vous me posez la question et c’est mon sentiment. La dernière fois que j’avais disputé les qualificat­ions, j’avais 18 ans et j’en gardais un souvenir de galère. Là, j’ai dû me battre contre moi-même. On ne peut pas dire que j’ai joué au tennis. J’ai fait attention à ne pas garder de la rage ou un sentiment de revanche. Ce n’est pas la meilleure façon pour avancer et ça aurait été trop dur à gérer émotionnel­lement, je me serais retrouvé face à un mur. Je n’irais pas jusqu’à dire que j’ai réparé une injustice en intégrant le grand tableau. Une wild card n’est pas un dû. Simplement, ce qu’on m’a fait est irrespectu­eux.» L’affaire est ainsi des plus subtiles. Mathieu ne réclame rien. Mais il rappelle que le sport de

«Je suis un gars posé. Quand ce sera fini, je dirai des choses sensées, des choses qui me ressemblen­t.» Paul-Henri Mathieu

haut niveau a des codes et que Giudicelli les a niés.

SALTIMBANQ­UES

Pressé de toutes parts de s’exprimer sur l’affaire, Giudicelli a dégainé jeudi : «On arrête les wild cards d’adieu. Paulo [Mathieu] n’est pas l’avenir. Cette décision est difficile mais quand on a des ambitions, il faut prendre des décisions difficiles. On aurait pu choisir la facilité [et inviter Mathieu dans le tableau] mais l’année prochaine, il y aurait eu quelqu’un d’autre. Et puis la magie du sport a opéré, il n’y avait plus une place à vendre pour les qualificat­ions car tout le monde voulait voir Paulo. Et les joueurs de 20 à 23 ans qui, eux, ont eu une wild card, vont avoir un modèle devant les yeux.» Mathieu, le lendemain : «J’ai des choses à dire mais ce n’est pas encore le moment. Je suis bien le premier à vouloir encourager les jeunes [sous-entendu : alors que Giudicelli m’oppose à eux, en leur donnant les wild cards], je n’en veux pas à ces joueurs et d’ailleurs, pour certains, je ne les connais même pas. [Giudicelli] a tenté de s’expliquer mais il est confus et surtout, une personne qui parle comme il le fait est à des années-lumière des réalités du haut niveau.» Les codes du haut niveau auxquels Giudicelli a contrevenu, donc :

1. Un joueur est ce qu’il a accompli, pas ce que l’on croit qu’il pourrait accomplir.

2. Si le fait que Mathieu ne soit pas l’avenir tombe sous le sens, le dire publiqueme­nt est une autre affaire: c’est comme pour l’âge des actrices ou le fait qu’elles aient du mal à trouver des rôles passé un certain âge, des indélicate­sses et un manque d’égard qu’on doit leur épargner par principe, une sorte de marque de civilisati­on envers des personnes exerçant une activité

–le sport, le cinéma– qui les fragilise dans des proportion­s que le commun des mortels n’a aucune chance de comprendre.

Et 3. Mathieu a dû être content de savoir que le fait d’être expédié en qualificat­ions pour la première fois en dixsept ans a fait la bonne fortune de la FFT, pour qui la billetteri­e de RolandGarr­os constitue un trésor sans fond. Au fond, tous les sportifs profession­nels du monde sont des saltimbanq­ues. Et c’est justement un excellent motif pour ne pas les traiter comme tels. Mathieu : «Vous n’imaginez pas le nombre de messages que j’ai reçus durant les trois tours de qualificat­ion. Au début, j’avais décidé de les mettre de côté. Impossible, il y en avait trop. C’est difficile d’en sortir un en particulie­r. Enfin si, il y en a un que j’ai reçu après ma victoire de vendredi et qui m’a fait moins plaisir que les autres, d’une personne qui avait oublié de m’en envoyer un le 16 mars [Giudicelli, a-t-on cru comprendre]. C’est normal, non?» A lui de voir. Impossible de se mettre à la place de Mathieu : même parmi les joueurs de haut niveau, il a souvent été le mec à part. Mathieu laissera le souvenir d’un type extrêmemen­t volontaire, qui a parfois intrigué un entourage qui a pourtant une longue pratique du bonhomme. Quand le projet d’une cellule d’entraîneme­nt privée high-tech a été lancé en 2005 par le groupe Lagardère, avec capteurs photos dans tous les coins pour abreuver les entraîneur­s de données et appareils de torture sophistiqu­és pour cultiver le physique, Mathieu s’est jeté dans l’aventure, s’exécutant avec un zèle tranchant avec le scepticism­e de certains joueurs. Une sorte de soldat de luimême, envisagean­t le sport comme un pur investisse­ment physique et émotionnel, là où d’autres joueurs prennent le temps de regarder autour d’eux pour en prendre et en laisser.

LIMBES

En interview, de loin en loin, on aura croisé un personnage à la fois assez brut et peu sûr de lui, ne prenant aucun plaisir à un exercice où il apparaît sur la défensive, comme s’il se méfiait des autres. C’est peu dire que le Strasbourg­eois n’a pas été épargné par les épreuves. Elles ont parfois eu un rapport direct avec le tennis, comme son ostéotomie tibiale (une jambe trop arquée) de 2010 qui a contraint les médecins à lui fracturer le tibia et le péroné pour les lui redresser, avec onze mois de rééducatio­n douloureus­e à la clé. Et parfois non : en 2013, un cancer des systèmes lymphatiqu­es a été détecté chez sa femme, une vie rythmée par d’épuisantes chimiothér­apies, et le dilemme de partir faire son métier de joueur de tennis loin de chez soi ou de rester auprès de la mère de son enfant. Celle-ci est aujourd’hui en rémission. On a senti vendredi chez Mathieu le désir de laisser les choses du tennis en ordre, c’est-à-dire conforme à l’idée qu’il se fait de lui. Plutôt que de se jeter sur le premier micro à la sortie du court pour régler ses comptes, il s’est donné une bonne heure à l’abri du vestiaire avant d’affronter la presse : «Je ne veux pas parler à chaud, c’est-à-dire pendant le tournoi. Je suis un gars posé. Quand ce sera fini, je dirai des choses sensées, des choses qui me ressemblen­t.» Ou pas : on en est sorti avec l’impression que tout cela le dépassait un peu, ou plutôt que son éducation de joueur de tennis sous diverses tutelles –le coach, la fédération– ne l’avait pas préparé à cette situation de petite vedette médiatique en butte aux instances de son sport. Avant ça, Mathieu s’était dit épuisé au physique et au moral. Goffin étant ce qu’il est, la vraie sortie par la grande porte est prévue lundi. Enfin, grande porte, facon de parler : petite mesquineri­e de la direction du tour, Mathieu n’aura droit ni au SuzanneLen­glen ni au Philippe-Chatrier, mais au modeste court numéro 1. Le portail séparant une vie de joueur d’une vie de souvenirs en cas de défaite. •

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PHOTO JEAN-PAUL PELISSIER. REUTERS Paul-Henri Mathieu, à Roland-Garros en 2015.

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