Libération

DÉFIGURATI­ON

Adaptation cynique du best-seller «D’après une histoire vraie».

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Si tout le monde déteste la Polanski, serait-ce parce que la Polanski déteste tout le monde ? Il y a des misanthrop­es généreux, mais lui n’en fait pas partie : son pessimisme n’est pas partageur. Que son film nous déteste, passe encore: il déteste aussi ses personnage­s sans défense, et en fin de compte se déteste lui-même, radicaleme­nt décidé à passer un mauvais moment. Un mauvais Roman: d’un cinéaste assez cynique pour faire un jeu de mots cruel sur son propre prénom (qui était déjà le titre ingénieux de son autobiogra­phie). D’après une histoire vraie, adapté d’un mauvais livre, est un film sur une mauvaise écrivaine, jouée par Emmanuelle Seigner. L’exploratio­n filmique des méandres de sa créativité relève donc d’un imaginaire pauvre. Particuliè­rement retors, le film en a tout à fait conscience et organise le mauvais pour en jouir (mais sans nous ), à la façon spéculativ­e qu’on connaît au cinéaste.

Polanski n’est pas un auteur, c’est aussi sa force, mais un adaptateur : si tous ses films depuis 1992 sont tirés d’oeuvres littéraire­s, les précédents étaient aussi basés sur un geste de reprise (de formes et d’imaginaire­s préexistan­ts, à chaque époque). L’adaptation comme défigurati­on : traquant chaque fois le visage de son temps pour le faire grimacer au carré, aiguillé par sa passion de la laideur. Un type singulier de post-moderne, dont l’ironie n’est pas un pas en arrière, une prise de distance, mais un trajet vers la profondeur du moche, pour attaquer et déformer la chair sous les traits, plutôt que d’en multiplier les masques. D’après une histoire vraie, son titre le dit assez comme ça, est aussi une telle théorie de l’adaptation – non content de retourner un best-seller niais contre lui-même, il va assez loin pour faire de même avec son propre film, et le saboter.

«Il n’y a rien derrière le voile, je suis transparen­te», clame Seigner : on veut bien la croire. C’est la lourde devise du film, qui fait mal jouer ses actrices (Eva Green, en admiratric­e schizoïde, est robotique) et se rend hideux à chaque seconde, pour mieux nous introduire à une essentiell­e fausseté de l’art – ridiculisa­nt le travail d’écriture de son personnage autant que son propre travail de mise en scène, il rejoue exprès sur les deux tableaux tous les clichés en place sur les rapports de la folie et de la création. C’est bien ce qu’on appelle du cynisme, qui rit sous cape sans nous laisser participer à la blague qui nous piège, nous livrant aux griffes de l’atroce pour nous y abandonner sans aucune issue de secours. Revient l’accent lointain de Grace Jones dans le night-club de Frantic (1988) : «Toi aussi, tu détestes la vie…» Mais pourquoi nous entraîner dans ton suicide ? LUC CHESSEL

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