Pour relancer ce vieux bastion ouvrier sinistré, l’économiste américain Jeremy Rifkin expérimente le projet Rev3 d’une ville surconnectée et écologique.
Hauts-de-France: Fourmies, laboratoire d’une troisième révolution industrielle
Fourmies, vieux bastion ouvrier du Nord, miné par un chômage à 34 %, rêve à nouveau d’une révolution industrielle. Et c’est un économiste américain, un gourou, Jeremy Rifkin, globe-trotter des décideurs, plus habitué aux grands de ce monde, qui lui met du baume au coeur. Le mardi 7 novembre, il était sur la scène du théâtre municipal, une splendeur néogothique du temps de sa richesse, quand la ville était le foyer d’une machine à laver, la Bendix, marque aujourd’hui oubliée. Il se lève et applaudit la salle, qui en reste toute saisie. «Nous dormons sur nos lauriers, et Fourmies nous réveille, assène-t-il. Si une petite ville comme la vôtre est capable de se mobiliser depuis deux ans, alors les autres n’ont plus d’excuses.» Jeremy Rifkin a été mandaté par le conseil régional pour expérimenter sa troisième révolution industrielle sur les Hauts-de-France. Il décrit un futur proche, une société du partage, avec des bâtiments autonomes en énergie solaire ou éolienne, qui redistribuent leur surplus dans la ville. L’usine a besoin d’électricité pour tourner? Elle utilise celle produite par les maisons voisines, dont les occupants sont absents, au boulot pendant la journée. Tout le réseau souterrain, rendu intelligent par des capteurs, est géré via le web. Dans ce rêve de nouvelle ville surconnectée, on se déplace en voiture électrique et on recycle à tout va.
Tracteur.
«Ici, ils sont tous devenus croyants», s’ébaudit le directeur régional de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), Hervé Pignon, qui voit les projets pleuvoir comme à Gravelotte. Croyants en Rifkin. La preuve? Le programme Rev3 a été porté par un conseil régional de gauche, conservé par la nouvelle majorité menée par Xavier Bertrand (LR), et soutenu par le milieu économique local. Mickaël Hiraux, le maire de Fourmies (LR), 44 ans, a la foi des nouveaux convertis. Il a piqué la municipalité aux communistes en 2014, un hold-up auquel il ne croyait pas lui-même. «J’avais une population résignée, qui s’entendait dire depuis des années que c’était comme ça, on n’y pouvait rien si tout était fermé», raconte-t-il. Les chiffres sont à faire peur, chômage le plus haut de France, 35 % des habitants sans permis ou sans moyen de locomotion, bloqués dans une ville enclavée. Fourmies, 12 500 habitants, paumée dans une campagne verdoyant entre Maubeuge et Saint-Quentin, a perdu la bataille de la mise à double voie de la RN2. Résultat : 1 h 30 pour rejoindre Lille, la capitale régionale, et encore, si on ne se retrouve pas coincé derrière un tracteur.
«Je me suis dit, mais qu’est-ce que je vais faire, sérieux ? se souvient le jeune élu. Puis j’ai lu le programme Rev3.» Révélation. Il a foncé. Et multiplié les projets : lancement d’un «fab lab» (laboratoire de fabrication communautaire) dans des préfabriqués, avant son installation définitive dans un ancien supermarché de 2 000 m² (le tout financé par l’Etat et la région); prochaine ouverture d’une coopérative énergétique, où les habitants pourront déposer leurs économies pour doter les toits municipaux de panneaux photovoltaïques, et toucheront tous les ans des dividendes de l’électricité revendue à EDF ; inauguration d’une cuisine centrale en circuit court, pour relancer le maraîchage ; création d’un quartier Rev3, écologique et connecté, sur une ancienne friche industrielle. Le maire est devenu un VRP, bagout efficace, et recherche de financements tous azimuts. Son énergie paye : Fourmies a été désignée comme démonstrateur officiel de l’Ademe, et, ce jour de novembre, outre Rifkin, le théâtre reçoit aussi un secrétaire d’Etat. Sébastien Lecornu est venu promettre que la région bénéficiera du prochain contrat de transition écologique.
Kebab.«Un
ministre ici, ce n’est pas tous les jours», s’ébaudit Enès, qui tient le kebab de la place de la mairie, le restaurant de ses parents. Il a voulu aller à cette réunion parce qu’il se propose de créer sa propre entreprise, dans la vente de voitures d’occasion, mais il s’est retrouvé sur liste d’attente. Eric, 42 ans, chargé de communication dans un Etablissement et service d’aide par le travail (Esat) voisin, et habitué du «fab lab», apprécie aussi : «C’est un projet qui a une vraie couleur politique, dans le plus beau sens du terme, un projet de société commun. Après j’attends de voir ce que ça va donner sur la durée. J’espère que ce n’est pas juste de l’esbroufe.» Beaucoup de bruit pour pas grandchose, disent les détracteurs. «Au moins, on parle de Fourmies autrement», répond Enès. Ce n’est plus le refrain de la ville sinistrée. Il est parti travailler deux ans à Paris, et tout juste revenu, trouve Fourmies changée. «Il y a des entreprises qui s’installent sur la zone industrielle. Et ici, ce dont on a besoin, c’est d’emplois.» •