Libération

Pour relancer ce vieux bastion ouvrier sinistré, l’économiste américain Jeremy Rifkin expériment­e le projet Rev3 d’une ville surconnect­ée et écologique.

Hauts-de-France: Fourmies, laboratoir­e d’une troisième révolution industriel­le

- Par STÉPHANIE MAURICE Photos RICHARD BARON. LIGHT MOTIV

Fourmies, vieux bastion ouvrier du Nord, miné par un chômage à 34 %, rêve à nouveau d’une révolution industriel­le. Et c’est un économiste américain, un gourou, Jeremy Rifkin, globe-trotter des décideurs, plus habitué aux grands de ce monde, qui lui met du baume au coeur. Le mardi 7 novembre, il était sur la scène du théâtre municipal, une splendeur néogothiqu­e du temps de sa richesse, quand la ville était le foyer d’une machine à laver, la Bendix, marque aujourd’hui oubliée. Il se lève et applaudit la salle, qui en reste toute saisie. «Nous dormons sur nos lauriers, et Fourmies nous réveille, assène-t-il. Si une petite ville comme la vôtre est capable de se mobiliser depuis deux ans, alors les autres n’ont plus d’excuses.» Jeremy Rifkin a été mandaté par le conseil régional pour expériment­er sa troisième révolution industriel­le sur les Hauts-de-France. Il décrit un futur proche, une société du partage, avec des bâtiments autonomes en énergie solaire ou éolienne, qui redistribu­ent leur surplus dans la ville. L’usine a besoin d’électricit­é pour tourner? Elle utilise celle produite par les maisons voisines, dont les occupants sont absents, au boulot pendant la journée. Tout le réseau souterrain, rendu intelligen­t par des capteurs, est géré via le web. Dans ce rêve de nouvelle ville surconnect­ée, on se déplace en voiture électrique et on recycle à tout va.

Tracteur.

«Ici, ils sont tous devenus croyants», s’ébaudit le directeur régional de l’Agence de l’environnem­ent et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), Hervé Pignon, qui voit les projets pleuvoir comme à Gravelotte. Croyants en Rifkin. La preuve? Le programme Rev3 a été porté par un conseil régional de gauche, conservé par la nouvelle majorité menée par Xavier Bertrand (LR), et soutenu par le milieu économique local. Mickaël Hiraux, le maire de Fourmies (LR), 44 ans, a la foi des nouveaux convertis. Il a piqué la municipali­té aux communiste­s en 2014, un hold-up auquel il ne croyait pas lui-même. «J’avais une population résignée, qui s’entendait dire depuis des années que c’était comme ça, on n’y pouvait rien si tout était fermé», raconte-t-il. Les chiffres sont à faire peur, chômage le plus haut de France, 35 % des habitants sans permis ou sans moyen de locomotion, bloqués dans une ville enclavée. Fourmies, 12 500 habitants, paumée dans une campagne verdoyant entre Maubeuge et Saint-Quentin, a perdu la bataille de la mise à double voie de la RN2. Résultat : 1 h 30 pour rejoindre Lille, la capitale régionale, et encore, si on ne se retrouve pas coincé derrière un tracteur.

«Je me suis dit, mais qu’est-ce que je vais faire, sérieux ? se souvient le jeune élu. Puis j’ai lu le programme Rev3.» Révélation. Il a foncé. Et multiplié les projets : lancement d’un «fab lab» (laboratoir­e de fabricatio­n communauta­ire) dans des préfabriqu­és, avant son installati­on définitive dans un ancien supermarch­é de 2 000 m² (le tout financé par l’Etat et la région); prochaine ouverture d’une coopérativ­e énergétiqu­e, où les habitants pourront déposer leurs économies pour doter les toits municipaux de panneaux photovolta­ïques, et toucheront tous les ans des dividendes de l’électricit­é revendue à EDF ; inaugurati­on d’une cuisine centrale en circuit court, pour relancer le maraîchage ; création d’un quartier Rev3, écologique et connecté, sur une ancienne friche industriel­le. Le maire est devenu un VRP, bagout efficace, et recherche de financemen­ts tous azimuts. Son énergie paye : Fourmies a été désignée comme démonstrat­eur officiel de l’Ademe, et, ce jour de novembre, outre Rifkin, le théâtre reçoit aussi un secrétaire d’Etat. Sébastien Lecornu est venu promettre que la région bénéficier­a du prochain contrat de transition écologique.

Kebab.«Un

ministre ici, ce n’est pas tous les jours», s’ébaudit Enès, qui tient le kebab de la place de la mairie, le restaurant de ses parents. Il a voulu aller à cette réunion parce qu’il se propose de créer sa propre entreprise, dans la vente de voitures d’occasion, mais il s’est retrouvé sur liste d’attente. Eric, 42 ans, chargé de communicat­ion dans un Etablissem­ent et service d’aide par le travail (Esat) voisin, et habitué du «fab lab», apprécie aussi : «C’est un projet qui a une vraie couleur politique, dans le plus beau sens du terme, un projet de société commun. Après j’attends de voir ce que ça va donner sur la durée. J’espère que ce n’est pas juste de l’esbroufe.» Beaucoup de bruit pour pas grandchose, disent les détracteur­s. «Au moins, on parle de Fourmies autrement», répond Enès. Ce n’est plus le refrain de la ville sinistrée. Il est parti travailler deux ans à Paris, et tout juste revenu, trouve Fourmies changée. «Il y a des entreprise­s qui s’installent sur la zone industriel­le. Et ici, ce dont on a besoin, c’est d’emplois.» •

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Dans le «fab lab», les habitants viennent utiliser les imprimante­s 3D.
 ??  ?? Le «fab lab» a pris place dans des préfabriqu­és.
Le «fab lab» a pris place dans des préfabriqu­és.
 ??  ?? D’anciennes usines qui laisseront bientôt place à un «écoquartie­r».
D’anciennes usines qui laisseront bientôt place à un «écoquartie­r».
 ??  ?? La friterie «Chez Jacques», installée depuis plus de trente ans.
La friterie «Chez Jacques», installée depuis plus de trente ans.

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