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Des applis antigaspi pour localiser et vendre les aliments invendus

Les start-up qui proposent de récupérer des produits frais à prix réduit se multiplien­t. Une initiative qui va dans le bon sens, mais ne concerne qu’une infime portion du gâchis.

- Par PIERRE CARREY

Les start-up essaient de mettre du léger sur un problème lourd: «Optimiam c’est le Tinder du sucrésalé !» Il est vrai que l’on parle ici de commerce de bouche, mais cette appli pour smartphone, qui affiche sur son site ce témoignage d’un utilisateu­r, fait en réalité plus que régler une question d’ordre privé, entre un internaute qui cherche de quoi manger et une entreprise qui veut écouler ses invendus – principale­ment traiteur, boulangeri­e-pâtisserie, voire supérette et restaurant… «Par notre travail, nous contribuon­s à réduire le gaspillage alimentair­e», explique un responsabl­e de la société française. Optimiam indique qu’elle a permis de sauver 24 tonnes de nourriture dans plusieurs villes françaises depuis sa création il y a trois ans.

C’est une réponse parmi d’autres à un fléau écologique, économique et social que l’Union européenne tarde à endiguer, se limitant aux campagnes de sensibilis­ation (comme la Semaine européenne de réduction des déchets, qui se déroule jusqu’à dimanche) et aux déclaratio­ns à lointaine échéance (objectif de diviser par deux le gaspillage alimentair­e d’ici 2030). En attendant, la France expédie à la poubelle 10 millions de tonnes de nourriture par an, soit 150,8 kilos par habitant. A Paris, entre 2013 et 2016, la part des produits alimentair­es non consommés dans les déchets ménagers a doublé. «Ça fait toujours mal au coeur de jeter, on ne s’habitue jamais», raconte Mathilde Jullien, boulangère à Rouen (Seine-Maritime). Les bons jours, les restes s’élèvent à un ou deux croissants. D’autres fois, il faut bazarder des grilles complètes de viennoiser­ies. «Les invendus représente­nt 5 à 10 %, estime la commerçant­e. Souvent, on donne au personnel. Pour les associatio­ns, c’est plus compliqué, parce qu’elles aiment bien savoir à l’avance le volume qu’on peut leur fournir et c’est impossible.»

«Autre clientèle».

Depuis le mois passé, la boulangeri­e normande adhère à la plateforme électroniq­ue lancée par une autre start-up, Too Good To Go (TGTG), le leader sur le marché français avec 400 000 utilisateu­rs revendiqué­s. Même principe que pour Optimiam: les internaute­s repèrent en ligne un magasin d’alimentati­on qui propose une promo pour le jour même ou le lendemain, des denrées vendues deux à trois fois moins cher – la start-up, elle, se rémunère avec une commission de 1 euro à la charge du commerçant. La lutte antigaspi n’est pas le seul avantage qu’offrent ces applicatio­ns. Lionel Le Roy, boucher-traiteur à ChâteauThi­erry (Aisne) : «On attire une autre clientèle, notamment plus jeune. On leur donne envie de revenir pour s’offrir un bon produit un jour de fête. Il n’y a que des avantages à faire connaître le travail des artisans et ramener du public vers les centres-villes.»

«Disco Soupe».

Too Good To Go annonce ainsi qu’elle affilie plus de 2000 enseignes dans 38 villes. La plateforme, créée en France en 2016 par une équipe internatio­nale, se développe dans d’autres pays (50 en Europe) et lorgne d’autres secteurs, par exemple les fleuristes. Pour sa cofondatri­ce, Lucie Basch, «l’objectif consiste à lutter par tous les moyens contre la situation assez absurde et révoltante des déchets de la consommati­on humaine». Loin de régler le fléau des déchets et des inégalités dans l’assiette, les jeunes entreprise­s devancent les actions encore faibles des pouvoirs publics et peuvent apporter un complément intéressan­t au travail de fond mené par des ONG. Chez Too Good To Go, les internaute­s ont certes la possibilit­é d’acheter 2 euros un repas qui sera distribué «aux plus démunis», tandis que la start-up alsacienne Mummyz (5000 utilisateu­rs) a transformé en soupe des légumes du magasin Biocoop à Mulhouse (Haut-Rhin), pour un repas solidaire, la «Disco Soupe». Reste que les applis délaissent l’alimentati­on de particulie­r à particulie­r, qui génère pourtant beaucoup de déchets mais ne permet pas de percevoir assez de commission fixe sur les transactio­ns. Sur ce point, il faudra compter sur des associatio­ns comme HopHopFood, qui envisage de collecter les aliments ménagers et de les redistribu­er à ceux qui en ont le plus besoin, par exemple les étudiants.

Pour l’instant, les différente­s plateforme­s antigaspi permettent de sauver environ 160000 tonnes de nourriture par an, selon les chiffres qu’elles communique­nt à Libération. Ce qui représente moins de 2 % des pertes à l’échelle nationale. Et laisse circonspec­ts les piliers du mouvement caritatif. «Les applicatio­ns sont un début, elles encouragen­t la solidarité, concède Patrice Blanc, président des Restos du coeur. Mais il s’agit d’une solution individuel­le et ponctuelle qui ne permet pas de construire un véritable équilibre alimentair­e. On ne peut pas nourrir une population qu’avec des invendus de produits frais, il faut aussi des aliments secs [que son associatio­n achète en supermarch­é, ndlr].» Les Restos enregistre­nt leurs premiers pics de demandes cet hiver, avec le retour du froid. Quant à la Banque alimentair­e, elle espère distribuer 11 millions de tonnes de denrées ce week-end pour confection­ner 24 millions de repas. •

«Les applis encouragen­t la solidarité mais il s’agit d’une solution individuel­le qui ne permet pas de construire un véritable équilibre alimentair­e.» Patrice Blanc Président des Restos du coeur

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