Libération

Contre le lynchage médiatique et les calomnies visant les antiracist­es

L’affaire Tariq Ramadan, estime un groupe d’intellectu­els, relance violemment les campagnes menées contre les représenta­nts de l’antiracism­e.

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Comme un mauvais jeu de dominos, un jeu ignoble et dangereux, les accusation­s calomnieus­es sont tombées une à une sur les courants de l’antiracism­e politique. La cascade vient de loin, de l’extrême droite, de la fachosphèr­e, de sites xénophobes comme Fdesouche, mais aussi de courants proches de la «gauche» socialiste comme le Printemps républicai­n, et d’organes de presse tels Causeur, Valeurs actuelles, le Figaro ou Marianne. Des personnali­tés politiques misent leur va-tout sur les enjeux identitair­es et autoritair­es – et jouent gravement avec le feu. Manuel Valls est de ceux-là, tombé au fond du trou après son éliminatio­n politique ; le voilà remis en selle, brandissan­t pour tout programme sa lame islamophob­e. On ne s’étonnera pas de le voir fourbir les mêmes armes que son compère en réaction identitair­e, Laurent Wauquiez. Ces deux-là appartienn­ent bien désormais au même univers idéologiqu­e, signe de la confusion où les étiquettes partisanes n’importent plus. C’est un masque qui ne devrait plus tromper grand monde : des politiques destructri­ces, offensives contre les droits sociaux, dont on essaie de détourner l’attention en adoptant la ligne faible mais terrible des rodomontad­es sur l’ennemi intérieur et le supposé choc des civilisati­ons. Ces néoconserv­ateurs surfent sur la même vague qui a porté Trump au pouvoir et qui ravage l’Europe, de la Hongrie à la Pologne et l’Autriche. Le rouleau compresseu­r néolibéral est désastreux pour le plus grand nombre mais ses effets s’abattent d’abord dans les quartiers populaires sur les population­s noires, arabes, roms, musulmanes ou supposées telles. C’est dans ce contexte nauséabond que, depuis des années, un tombereau de calomnies déferle sur les représenta­nt·e·s de l’antiracism­e politique, dont le projet est précisémen­t de combattre l’apartheid que connaissen­t les population­s de ces quartiers. Dès son élection, il a visé Danièle Obono, députée de La France insoumise, sommée de crier «Vive la France !». Avant, il y eut l’acharnemen­t contre les promotrice­s du camp d’été décolonial, puis le festival Nyansapo. Il s’est aggravé ces dernières semaines et s’obstine à nouveau contre Danièle Obono, parce qu’elle a osé reconnaîtr­e en Houria Bouteldja une camarade de luttes antiracist­es. Victime d’une chasse aux sorcières, Houria Bouteldja, et, avec elle, le Parti des indigènes de la République, est devenue la personnali­té à abattre. Cette atmosphère de lynchage profite éhontément de l’affaire Tariq Ramadan. Après les très graves accusation­s portées contre lui, justice devra être faite : le respect des victimes et la sérénité du procès à venir exigent qu’aucune récupérati­on idéologiqu­e ne soit permise. Le combat fondamenta­l contre le sexisme et les violences faites aux femmes ne peut servir l’agenda des promoteurs de haine identitair­e. Subissent la même traque celles et ceux qui ont croisé ou débattu avec Tariq Ramadan : de Pascal Boniface à Edwy Plenel et Mediapart, d’Edgar Morin à Alain Gresh, du CCIF à François Burgat. Nous sommes à leurs côtés pour qu’ils continuent à tenir, avec cohérence et courage et ténacité, une position de débat et de combat en défense des musulman·e·s victimes de stigmatisa­tion mais aussi de celles et ceux qui endurent le racisme, l’antisémiti­sme, la négrophobi­e, l’islamophob­ie, les contrôles au faciès et la répression. On ne comprend pas comment Jean-Luc Mélenchon a pu prendre part à cette traque. Les accusation­s d’antisémiti­sme qu’il a portées contre Houria Bouteldja sont inacceptab­les. Lorsqu’il était lui-même accusé de proximité avec des antisémite­s, Jean-Luc Mélenchon a déclaré un jour : «L’antisémiti­sme est un délit ; il doit être condamné comme tel. Accuser à tort quelqu’un d’être antisémite est aussi un délit.»

Ce vent mauvais est ravageur. Audelà des diverses personnali­tés visées et d’éventuels désaccords que l’on peut avoir avec elles, ce sont l’antiracism­e politique, la lutte contre les discrimina­tions systémique­s et l’islamophob­ie que l’on cherche à discrédite­r. Pourtant, ces combats s’inscrivent dans le camp de l’émancipati­on. C’est pourquoi, nous jugeons nécessaire de faire l’unité contre les calomnies, les lynchages médiatique­s et la diffamatio­n. •

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