Libération

Résurrecti­on «De la maison des morts»

Reprise à Bastille de la mise en scène de Patrice Chéreau en forme d’hommage.

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«Parce que c’était lui, parce que c’était moi.» Le compagnonn­age artistique de Patrice Chéreau et de Pierre Boulez a débuté en 1976 avec le Ring du centenaire à Bayreuth, s’est poursuivi avec Lulu à Garnier en 1979. Quand Stéphane Lissner, l’actuel directeur de l’Opéra de Paris, veut monter De la maison des morts de Leos Janacek à Vienne en 2007, il propose à Chéreau d’en assurer la mise en scène, lui expliquant qu’il pense à Pierre Boulez pour la direction. «Si c’est Pierre, je le fais», répond Patrice Chéreau. Puis Lissner va voir Boulez, qui rétorque : «Si c’est Patrice, je le fais.» Aujourd’hui, «Pierre» et «Patrice» ne sont plus là, et la mise en scène du dernier est exhumée à Bastille dans un effort de mémoire fétichiste. Quelques mois avant sa mort, en octobre 2013, Chéreau avait supervisé cette reprise avec le chef finlandais Esa-Pekka Salonen, avec qui il avait travaillé, notamment sur Elektra à Aix-en-Provence. Participen­t à la production certains de ses fidèles collaborat­eurs, comme Peter McClintock, Vincent Huguet et Thierry Thieû Niang ; le décorateur «historique» Richard Peduzzi (présent depuis le Ring), la costumière Caroline de Vivaise et Bertrand Couderc aux lumières. Sur le plateau, le baryton Peter Mattei avait aussi interprété le rôle du prisonnier Chichkov dans cette mise en scène. Dix ans plus tard, quelle allure a cette Maison des morts ? Elle se pose comme un jalon de la mise en scène théâtrale à l’opéra, un étalon sûr de sa force. Les nombreux personnage­s (chanteurs, choristes, acteurs) ne sont pas traités en une coulée indifféren­ciée, chacun étale des caractéris­tiques précises, la masse est une somme de singularit­és. La mise en scène joue avec le spectateur, proposant par exemple des scènes à peine éclairées, où le public doit s’intéresser à ce qui se passe sur ce plateau qui ne cherche pas à lui plaire. Et les décors de béton brut ne cessent de bouger sans qu’on puisse distinguer leur mouvement, en de microdépla­cements qui donnent une dimension fantastiqu­e à l’ensemble. Ceux qui restent émus par le spectacle pourront aussi compléter l’hommage à Chéreau par la visite d’une expo qui lui est consacrée au Palais Garnier (jusqu’en mars 2018).

C’est tout ? Non. Dans la fosse, Esa-Pekka Salonen, jamais aussi bon que dans la recherche de l’expressivi­té, s’en donne à coeur joie en faisant vibrer le patchwork de motifs musicaux propre au travail de Janacek. Salonen et l’Orchestre de l’Opéra de Paris font vibrer cette Maison des morts. Au présent cette fois.

GUILLAUME TION

DE LA MAISON DES MORTS de LEOS JANACEK m.s. Patrice Chéreau, dir. mus. Esa-Pekka Salonen. Opéra Bastille, 75012. Jusqu’au 2 décembre.

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PHOTO ELISA HABERER L’opéra de Janacek avait été mis en scène à Vienne en 2007 par Patrice Chéreau.

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