Libération

Forban d’essai

Mohamed Mahamoud Ce pirate somalien, mêlé à l’affaire du voilier «Tanit», a purgé sa peine en France, travaille chez Emmaüs et sollicite un droit d’asile.

- Par PIERRE-HENRI ALLAIN Photo VINCENT GOURIOU

La rencontre a lieu en pleine campagne bretonne, dans le salon d’un coquet pavillon. Meubles en bois massif, tentures au mur, bibelots, chaussons de rigueur pour les visiteurs, nous voilà, à des milles du chaos somalien, dans un intérieur douillet où tout brille et où chaque chose est à sa place. Comptable devenue militante associativ­e et ange gardien, c’est Maryvonne Le Naour qui nous reçoit et nous présente Mohamed Mahamoud, ancien pirate reconverti en compagnon d’Emmaüs.

Drôle de pirate. Affable, pudique, posé et aussi frêle et longiligne qu’une tige de roseau. Un homme de 35 ans, habillé d’un élégant manteau de laine, d’une chemise en toile de jean et d’un pantalon fuseau. Avec un visage aux traits fins et anguleux. Un homme qu’on a du mal à imaginer avec une kalachniko­v au poing et des haillons sur le dos.

Bien droit sur sa chaise, celui qui est devenu le protégé de Maryvonne Le Naour, presque un membre de la famille, déroule son histoire dans un français encore heurté mais tout à fait clair. Un récit entrecoupé d’un sourire un peu triste. Les yeux tout à coup perdus dans une rêverie lointaine tandis que, par la fenêtre, on aperçoit un paysage de vertes prairies et de sous-bois où poussent les derniers champignon­s de saison. La vie de Mohamed Mahamoud, Somalien du Puntland, ressemble à celles de mille autres, ballottées entre les violences d’une guerre civile qui n’en finit pas et l’anarchie d’un Etat en ruine. Un pays où les armes sont omniprésen­tes, où la loi est celle du plus fort, et où le danger n’est jamais loin. Enfant, il ne rêve que d’une chose, vivre de la mer, comme des génération­s de Somaliens. Aller jour après jour ramasser les langoustes dans les rochers et pêcher le requin au large. Comme son père, son grand-père, ses oncles, ses cousins. Après une enfance de «bagarreur» où il aura connu davantage la loi des rues que les bancs de l’école, c’est l’activité à laquelle il se consacre dès l’âge de 13 ans. Période presque bénie : le poisson est encore abondant, même si des navires-usines étrangers viennent vider les fonds marins. Cela lui rapporte suffisamme­nt d’argent pour régaler ses amis et nourrir sa famille, essentiell­ement sa mère divorcée et ses cinq frères et soeurs. Lui-même est trois fois divorcé, son seul enfant est mort à la naissance. Comme si l’anarchie et la violence n’étaient pas suffisante­s, le tsunami qui balaie l’océan Indien, en 2004, envoie valdinguer tout ça. Le bateau familial est retrouvé en morceaux. La catastroph­e fait resurgir des fûts remplis de produits toxiques, lesquels déversent leurs poisons dans l’océan. Commence alors pour Mohammed Mahamoud une existence erratique. Un peu de pêche au casier, un convoyage de khat, la drogue régionale, entre le Yémen et la Somalie. Pour renouer avec sa vocation première, il rachète un bateau de pêche. C’est le début d’un engrenage presque prévisible. La mer n’est plus aussi généreuse. Pour rembourser ses dettes, le ventre vide, il s’engage dans une opération de piraterie, pratique à laquelle s’adonnent alors beaucoup de Somaliens réduits à rien. L’opération tourne au fiasco. A 900 kilomètres des côtes, lancés à la poursuite d’un porte-conteneurs à bord d’un canot à moteur, les cinq pirates manquent leur cible. Les échelles prévues pour l’abordage sont trop courtes ! Sans carburant pour regagner la terre ferme, leur sort semble scellé. Jusqu’à ce qu’apparaisse, à l’horizon, un voilier métropolit­ain de douze mètres, le Tanit, avec à son bord cinq personnes, le skippeur, son épouse, leur fils de 3 ans et demi et deux amis. L’abordage se fait en quelques minutes. Mais les négociatio­ns avec les autorités françaises traînent. Jusqu’à ce que les militaires donnent l’assaut. Deux pirates sont tués tandis que le skippeur, Florent Lemaçon, victime d’une balle française, trouve aussi la mort. Les trois pirates rescapés et capturés sont expédiés en France.

Dans l’attente du procès, Mohamed Mahamoud est incarcéré à Ploemeur, près de Lorient, dans un centre pénitentia­ire inauguré le 6 février 1982, le jour de sa naissance. «On devait être faits pour se rencontrer», lâche, de son sourire timide, le pirate, qui se retrouve subitement loin de tout ce qu’il a connu. La rencontre avec Maryvonne

Le Naour, qui lui enseigne le français, s’avère rédemptric­e. L’ex-comptable découvre un homme, musulman non pratiquant, rongé par le remords – «cela me fait mal tout le temps ce qu’il s’est passé» – mais aussi d’une grande sensibilit­é. Elle se démène pour le faire accueillir par les compagnons d’Emmaüs de Rédéné (Finistère) et lui obtenir une libération conditionn­elle. En octobre 2013, jugé pour détourneme­nt de navire par violence, arrestatio­n, enlèvement et séquestrat­ion en bande organisée, il comparaît libre. Les témoignage­s, selon lesquels il ne s’est jamais montré agressif, n’a jamais pointé son arme sur les otages et s’est même interposé lorsque l’un des pirates a voulu éliminer un marin du Tanit, lui sont favorables. Il est néanmoins condamné à neuf ans de prison, comme ses deux comparses. Libéré en février 2016, Mohamed Mahamoud rejoint les compagnons d’Emmaüs de Rédéné où une autre vie commence. Peu à peu, il s’intègre à la communauté, s’implique dans les différente­s activités, l’accueil du public, la vente de meubles et de bibelots, la collecte de dons. «Lors de notre première rencontre, à la prison, il s’est passé quelque chose, raconte Laure, l’une des responsabl­es du centre Emmaüs. Un rapport de confiance immédiat. Aujourd’hui, Mohamed est acteur de sa vie.» L’ancien pirate est aussi devenu héros de papier, depuis que Simon Rochepeau, touché par son histoire, s’en est inspiré pour écrire le scénario d’une BD mise en images par Thomas Azuélos.

Mohamed Mahamoud aimerait retourner en Somalie. Mais c’est beaucoup trop risqué. Son sort est donc suspendu à une décision du Comité national du droit d’asile (CNDA). Sans papiers pour suivre une formation ou même passer le permis, Mohamed Mahamoud, qui rêverait d’un métier en rapport avec la mer, assure donc, faute de mieux, la vente d’objets au magasin Emmaüs de Quimper. Et avale, tous les soirs ou presque, dans sa petite chambre du centre de Rédéné, où il vit seul, toutes les émissions politiques programmée­s à la télé. «C’est comme une drogue, dit-il. Mais peut-être que ça m’aidera à jouer un rôle si je retourne en Somalie.» «Momo» ne se paie toutefois guère d’illusions. «Pour les autres, jusqu’à ma mort, je serai un pirate», souffle-t-il, comme une fatalité inéluctabl­e, un éternel regret. «Comment faire pour se débarrasse­r de cet habit-là ?» s’interroge en écho, à l’autre bout de son salon, Maryvonne Le Naour, son autre maman. •

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