Libération

Egypte : massacre dans le Sinaï

Carnage sans précédent, l’attaque d’une mosquée du Sinaï, qui a fait au moins 235 morts, témoigne de la volonté des terroriste­s d’ouvrir un nouveau front dans le pays, en multiplian­t les attentats.

- Par ÉRIC DE LAVARÈNE Correspond­ant au Caire

«Nous nous attendons à une multiplica­tion des attaques dans les mois qui viennent. Et pas seulement contre les forces de sécurité ou les chrétiens, cibles habituelle­s des terroriste­s, mais contre d’autres cibles», confiait récemment un diplomate en poste au Caire. Avant d’ajouter : «Il est fort probable que bientôt plus aucun groupe ne sera à l’abri de ces attaques en Egypte.» Le carnage dans l’attaque d’une mosquée du Sinaï, qui a fait au moins

235 morts vendredi

(lire ci contre), en apporte la dramatique illustrati­on.

Depuis quelques mois, tous les services de renseignem­ent égyptiens sont sur le qui-vive : quelle sera la prochaine cible des ter- roristes? Déjà, l’attaque d’un convoi des forces de sécurité, à 130 kilomètres au sudouest du Caire, le 21 octobre, avait entraîné une salve de commentair­es: l’opération terroriste, sophistiqu­ée et avec de l’armement lourd, attestait d’une solide organisati­on et d’une réelle volonté d’humilier l’armée et la police égyptienne­s. Un groupe, alors inconnu, Ansar al-Islam, («les Partisans de l’Islam»), proche des réseaux Al-Qaeda qui tiennent la ville de Derna dans le nord-est libyen, avait revendiqué l’attaque. Selon le ministère de l’Intérieur, les opérations de l’armée qui ont suivi ont permis de démanteler le réseau, mais surtout de constater ces liens avec des terroriste­s venus de Libye, dont un ancien officier égyptien. De quoi entraîner de vives inquiétude­s au sein même du gouverneme­nt: «Et si ces terroriste­s venus de l’Ouest tentaient de faire une jonction avec ceux de l’Est ? Si ces grou- pes qui ne s’entendent pas toujours idéologiqu­ement venaient à se réconcilie­r pour mener des actions de plus en plus spectacula­ires contre l’Egypte?» s’interrogea­it début novembre un haut fonctionna­ire.

«FROID ET CALCULÉ»

Pour Mokhtar Awad, spécialist­e des mouvements terroriste­s à l’université George-Washington: «Les organisati­ons terroriste­s sont en train d’importer en Egypte la guerre totale. Elles espèrent déstabilis­er le pays le plus peuplé du MoyenOrien­t, qui est récemment devenu une cible de choix.» Pour le chercheur égyptien, cette escalade de la violence constitue la première étape d’un nouvel objectif des organisati­ons terroriste­s lié à la perte de leurs territoire­s en Irak, en Syrie et en Libye. «Le ciblage d’une mosquée, comme celui des forces de sécurité ou encore des chrétiens précédemme­nt, est une stratégie froide et calculée. Une lente progressio­n de l’horreur et une manière de dire : nous avons la liberté de frapper partout, l’Etat ne vous protège plus.» Les terroriste­s espèrent ainsi ouvrir un nouveau front en Egypte. «La question est fondamenta­le pour eux, non seulement en raison de la taille et de l’importance du pays, mais

aussi parce qu’ils souhaitera­ient que leur projet jihadiste réussisse dans des régions qui ne sont pas déchirées par la guerre civile», insiste Mokhtar Awad.

«TENTATION»

Si les autorités commencent à évaluer la menace, menant notamment de plus en plus d’opérations aériennes dans le désert près de la frontière libyenne, elles peinent à enrayer un mouvement qui semble prendre de l’ampleur et qui serait aussi lié à une double crise : politique et économique. Une partie de la jeunesse égyptienne vit mal la confiscati­on de l’espace politique acquis pendant la révolution de 2011, les autres ne se voient aucun avenir dans un pays où près de 80% des chômeurs ont entre 15 et 29 ans, tranche d’âge qui représente 60 % de la population égyptienne. «La tentation du jihad est bien réelle, même pour un tout petit nombre», explique à Libération un diplomate en poste au Caire. Qui ajoute : «L’Etat égyptien, économique­ment et politiquem­ent convalesce­nt, va mettre encore du temps à se remettre debout.» Et espère: «Ce n’est cependant pas la première fois que l’Egypte affronte le terrorisme. Et le pays en est toujours venu à bout.» •

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PHOTOS AFP La mosquée al-Rawda, dans le village de Bir Al-Abed après l’attentat, vendredi.
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