Egypte : massacre dans le Sinaï
Carnage sans précédent, l’attaque d’une mosquée du Sinaï, qui a fait au moins 235 morts, témoigne de la volonté des terroristes d’ouvrir un nouveau front dans le pays, en multipliant les attentats.
«Nous nous attendons à une multiplication des attaques dans les mois qui viennent. Et pas seulement contre les forces de sécurité ou les chrétiens, cibles habituelles des terroristes, mais contre d’autres cibles», confiait récemment un diplomate en poste au Caire. Avant d’ajouter : «Il est fort probable que bientôt plus aucun groupe ne sera à l’abri de ces attaques en Egypte.» Le carnage dans l’attaque d’une mosquée du Sinaï, qui a fait au moins
235 morts vendredi
(lire ci contre), en apporte la dramatique illustration.
Depuis quelques mois, tous les services de renseignement égyptiens sont sur le qui-vive : quelle sera la prochaine cible des ter- roristes? Déjà, l’attaque d’un convoi des forces de sécurité, à 130 kilomètres au sudouest du Caire, le 21 octobre, avait entraîné une salve de commentaires: l’opération terroriste, sophistiquée et avec de l’armement lourd, attestait d’une solide organisation et d’une réelle volonté d’humilier l’armée et la police égyptiennes. Un groupe, alors inconnu, Ansar al-Islam, («les Partisans de l’Islam»), proche des réseaux Al-Qaeda qui tiennent la ville de Derna dans le nord-est libyen, avait revendiqué l’attaque. Selon le ministère de l’Intérieur, les opérations de l’armée qui ont suivi ont permis de démanteler le réseau, mais surtout de constater ces liens avec des terroristes venus de Libye, dont un ancien officier égyptien. De quoi entraîner de vives inquiétudes au sein même du gouvernement: «Et si ces terroristes venus de l’Ouest tentaient de faire une jonction avec ceux de l’Est ? Si ces grou- pes qui ne s’entendent pas toujours idéologiquement venaient à se réconcilier pour mener des actions de plus en plus spectaculaires contre l’Egypte?» s’interrogeait début novembre un haut fonctionnaire.
«FROID ET CALCULÉ»
Pour Mokhtar Awad, spécialiste des mouvements terroristes à l’université George-Washington: «Les organisations terroristes sont en train d’importer en Egypte la guerre totale. Elles espèrent déstabiliser le pays le plus peuplé du MoyenOrient, qui est récemment devenu une cible de choix.» Pour le chercheur égyptien, cette escalade de la violence constitue la première étape d’un nouvel objectif des organisations terroristes lié à la perte de leurs territoires en Irak, en Syrie et en Libye. «Le ciblage d’une mosquée, comme celui des forces de sécurité ou encore des chrétiens précédemment, est une stratégie froide et calculée. Une lente progression de l’horreur et une manière de dire : nous avons la liberté de frapper partout, l’Etat ne vous protège plus.» Les terroristes espèrent ainsi ouvrir un nouveau front en Egypte. «La question est fondamentale pour eux, non seulement en raison de la taille et de l’importance du pays, mais
aussi parce qu’ils souhaiteraient que leur projet jihadiste réussisse dans des régions qui ne sont pas déchirées par la guerre civile», insiste Mokhtar Awad.
«TENTATION»
Si les autorités commencent à évaluer la menace, menant notamment de plus en plus d’opérations aériennes dans le désert près de la frontière libyenne, elles peinent à enrayer un mouvement qui semble prendre de l’ampleur et qui serait aussi lié à une double crise : politique et économique. Une partie de la jeunesse égyptienne vit mal la confiscation de l’espace politique acquis pendant la révolution de 2011, les autres ne se voient aucun avenir dans un pays où près de 80% des chômeurs ont entre 15 et 29 ans, tranche d’âge qui représente 60 % de la population égyptienne. «La tentation du jihad est bien réelle, même pour un tout petit nombre», explique à Libération un diplomate en poste au Caire. Qui ajoute : «L’Etat égyptien, économiquement et politiquement convalescent, va mettre encore du temps à se remettre debout.» Et espère: «Ce n’est cependant pas la première fois que l’Egypte affronte le terrorisme. Et le pays en est toujours venu à bout.» •