Libération

Allemagne:

Schulz change de ton et va parlemente­r avec Merkel Face à la perspectiv­e de nouvelles élections, et pour éviter l’immobilism­e six mois de plus, les sociaux-démocrates se déclarent prêts à discuter avec la CDU de la chancelièr­e et la CSU de la formation d’

- Par THOMAS SCHNEE Intérim à Berlin

Aucune fumée blanche ne s’est encore élevée au-dessus du Bundestag, et l’Allemagne n’a toujours pas de gouverneme­nt. Mais vendredi, un sérieux tournant politique s’est amorcé. Impensable lundi dernier encore, une troisième édition de la fameuse «GroKo», une «grande coalition» gouverneme­ntale réunissant les conservate­urs d’Angela Merkel et les sociaux-démocrates de Martin Schulz, est désormais possible. Et même probable : «Le SPD est fermement convaincu qu’il est plus que jamais nécessaire de discuter. Le SPD ne refusera pas de participer aux discussion­s auxquelles il sera invité», a expliqué le secrétaire général du parti, Hubertus Heil, dans la nuit de jeudi à vendredi, après huit heures de discussion­s entre les membres de la direction du SPD. L’invitation n’a pas tardé à arriver. Les dirigeants sociaux-démocrates et conservate­urs ont été priés vendredi par le président de la République fédérale, Frank-Walter Steinmeier, de venir le rencontrer la semaine prochaine pour discuter d’une coopératio­n éventuelle. Vendredi à 13h15, le président du SPD, Martin Schulz, a fait une mise au point officielle : «J’ai reçu de nombreux appels inquiets de la part de nos amis européens», a-t-il expliqué, soulignant que le SPD n’était pas du genre à fuir ses responsabi­lités pour l’Allemagne et pour l’Europe. Il a donc renoncé à son opposition de principe à une coalition avec la chancelièr­e pour discuter d’une sortie de crise : «Une chose doit être claire cependant : si ces discussion­s devaient aboutir, d’une manière ou d’une autre, à une participat­ion à la constituti­on d’un gouverneme­nt, il reviendra alors aux militants de notre parti de voter», a-t-il prévenu.

Nerfs.

Vu de France, ce virage à 180 degrés peut sembler étonnant. Deux mois durant, Berlin s’est en effet crispé autour de la constructi­on d’une coalition «jamaïcaine» inédite, et visiblemen­t un peu contre-nature, réunissant les partis conservate­ur, libéral et écologiste (dont les couleurs, noir, jaune et vert, évoquent le drapeau jamaïcain). Pendant ce temps, Martin Schulz ne cessait de marteler qu’une cure d’opposition ferait le plus grand bien au parti de Willy Brandt, ébranlé par un score historique­ment bas de 20,5 %. Mais c’était sans compter les angoisses du Parti libéral et de son président, Christian Lindner. Inquiet de constater la trop bonne entente entre la chancelièr­e conservatr­ice et ses interlocut­eurs écologiste­s, et finalement persuadé de devenir la cinquième roue du chariot dans une éventuelle coalition «jamaïcaine», ses nerfs semblent avoir lâché. Dans une mise en scène bien préparée, il a déclenché la crise politique actuelle en annonçant son retrait définitif des négociatio­ns, au motif que «mieux vaut ne pas gouverner que mal gouverner».

Depuis cette phrase explosive, la situation a totalement changé. «Merkel refuse l’option instable d’un gouverneme­nt minoritair­e, qui n’est pas très populaire en Allemagne et qui la mettrait à la merci de ses adversaire­s. Les deux options restantes sont donc de nouvelles élections ou un changement d’avis du SPD. Mais à part l’AfD [parti d’extrême droite, ndlr], qui se réjouit à l’idée de nouvelles élections à l’issue incertaine ? Personne !» remarque le politologu­e berlinois Gero Neugebauer.

Obstacle.

Depuis cette semaine, la phrase de Willy Brandt qui expliquait jadis que «le pays passe avant le parti» a donc refleuri dans les bouches de nombreux sociaux-démocrates, qui ont fait pression sur Martin Schulz pour qu’il abandonne sa position de refus systématiq­ue: «Le SPD a peur qu’on l’accuse de mensonge et de faiblesse s’il abandonne sa promesse d’opposition. Mais un tel virage ne serait pas une défaillanc­e, bien au contraire, ce serait l’expression de la responsabi­lité, une responsabi­lité que le FDP a refusée», écrivait il y a quelques jours Heribert Prantl, l’éditoriali­ste en chef du quotidien Süddeutsch­e Zeitung, exprimant ainsi l’avis de nombreux Allemands. Reste un obstacle de taille. Le choix d’un retrait «reconstruc­teur» dans l’opposition est très populaire parmi les 475 000 adhérents du parti et un certain nombre de dirigeants du SPD. «De très nombreuses discussion­s seront nécessaire­s avant d’aboutir à une décision, quelle qu’elle soit», a encore précisé Martin Schulz, dont l’avenir à la présidence du parti se jouera lors d’un congrès début décembre. •

«J’ai reçu de nombreux appels inquiets de la part de nos amis européens.» Martin Schulz justifiant son revirement

 ?? ODD ANDERSEN. AFP ?? Le chef des sociaux-démocrates allemands, Martin Schulz, lundi à Berlin, peu après l’échec des précédente­s négociatio­ns.
ODD ANDERSEN. AFP Le chef des sociaux-démocrates allemands, Martin Schulz, lundi à Berlin, peu après l’échec des précédente­s négociatio­ns.

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