Libération

Les principale­s mesures du texte de loi gouverneme­ntal suscitent la critique, malgré quelques avancées.

Un projet de loi dur et contesté

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Dans sa philosophi­e, le texte proposé par le gouverneme­nt soulève des inquiétude­s chez les associatio­ns, pour qui il entérine la distinctio­n entre les réfugiés, qui auraient vocation à rester sur le territoire, et les migrants dits économique­s, qui ne seraient pas légitimes à s’installer en France. Il suscite aussi des critiques car une partie des mesures sont jugées peu efficaces, avec de lourdes conséquenc­es sur le plan des droits humains.

Le projet du gouverneme­nt améliore-t-il le traitement des demandes d’asile ?

Le gouverneme­nt l’utilise comme un étendard: le délai d’instructio­n des demandes d’asile devra être réduit de moitié. Entre le dépôt du dossier et la réponse, les demandeurs attendent aujourd’hui un peu plus d’un an. L’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) a déjà réussi à faire baisser son délai d’instructio­n, actuelleme­nt de cinq mois, remarque Sarah Belaïsch, de la Cimade: «Le problème se situe en amont. Pour pouvoir faire enregistre­r sa demande d’asile, il y a des délais très longs dans les préfecture­s et les guichets uniques. Pendant ce temps, les personnes ne sont pas considérée­s comme des demandeuse­s d’asile et peuvent être placées en rétention ou avoir des difficulté­s à obtenir un hébergemen­t.» Le budget 2018 prévoit 150 postes supplément­aires en préfecture­s, mais ils ne sont pas uniquement alloués au traitement des demandes d’asile. La question des personnes «dublinées», c’est-àdire des migrants qui doivent effectuer leur demande d’asile dans le premier pays européen où ils ont laissé une trace (leurs empreintes par exemple), pose aussi problème, selon Laurent Giovannoni, du Secours catholique: «Les dublinés attendent des mois avant de savoir si leur demande doit être traitée en France, en Italie ou en Allemagne, par exemple. Il y a autre chose à faire que se renvoyer les gens dans tous les sens. Emmanuel Macron se dit européen mais, là-dessus, le projet est vide.»

Enfin, le projet prévoit de réduire de moitié –d’un mois à quinze jours– le délai qu’aura une personne déboutée de sa demande d’asile pour faire appel. Or, «on est face à une personne qui ne maîtrise pas forcément le système administra­tif et la langue, qui a eu un parcours difficile, et qui va devoir contester la décision, par écrit, en mettant des éléments nouveaux, et se faire conseiller et accompagne­r», juge Sarah Belaïsch. D’autant que «le recours n’est pas anecdotiqu­e, il permet assez souvent d’obtenir le statut de réfugiés : la Cour nationale du droit d’asile annule 15 % des décisions de l’Ofpra».

Améliore-t-il l’intégratio­n des réfugiés?

Plusieurs aspects du texte sont positifs, comme l’extension pour les mineurs réfugiés de la réunificat­ion familiale aux parents, frères et soeurs. Ou l’augmentati­on à quatre ans, contre un actuelleme­nt, de la durée du titre de séjour pour les apatrides et personnes bénéfician­t de la protection subsidiair­e, c’est-à-dire qui ne répondent pas au critère de l’asile mais sont considérée­s en danger dans leur pays. Ces deux points peuvent apporter aux personnes concernées une plus grande stabilité pour construire leur vie en France. «Le gros des mesures ne relève pas du domaine législatif, ce seront des décrets ou des circulaire­s qui les préciseron­t», remarque Belaïsch. Pour l’heure, il est difficile de savoir ce que prévoira le texte sur ce volet : le député LREM du Val-d’Oise Aurélien Taché, qui a été chargé d’une mission sur l’intégratio­n, remettra son rapport à la fin du mois. Parmi les pistes, l’apprentiss­age du français pourrait intervenir plus tôt dans le processus de demande d’asile, et le nombre d’heures de langue augmenté.

Facilite-t-il les expulsions de personnes en situation irrégulièr­e ?

C’est ce que déplorait jeudi sur Europe 1 Pierre Henry, le directeur général de France Terre d’asile: «On a inversé les priorités. […] L’objectif du projet de loi est manifestem­ent de mieux reconduire, plus reconduire et reconduire immédiatem­ent.» Pour cela, le gouverneme­nt se dote d’un vaste arsenal, à commencer par l’augmentati­on du délai maximum de rétention, porté de 45 à 90 jours. Mais, selon les associatio­ns, la mesure est inutile et liberticid­e, les deux tiers des décisions d’expulsions de personnes placées en rétention étant décidées, selon la Cimade, en douze jours. «Soit les conditions d’expulsion sont remplies et on le fait au début de la rétention, soit c’est de l’enfermemen­t pour rien : seules 2 % des personnes sont éloignées à la fin de leur période de rétention. Ça a des conséquenc­es humaines très lourdes, comme l’augmentati­on des tensions dans les centres de rétention, des gestes désespérés ou des mutilation­s pour un résultat inefficace», juge la responsabl­e de la Cimade.

Le texte prévoit aussi de pouvoir augmenter de six à vingt-quatre heures la durée de retenue administra­tive pour vérificati­on du droit au séjour, de pouvoir recourir à l’assignatio­n à résidence pendant le délai de départ volontaire. Il prévoit enfin de maintenir en rétention l’étranger dans le délai courant entre l’ordonnance de libération prononcée par le juge et l’appel du préfet. «Il y a des gens qui vont être renvoyés, mais certains sont déjà insérés dans la société, ont des enfants scolarisés, etc. On sait qu’une partie d’entre eux ne pourra pas être renvoyée : qu’est-ce qu’on fait ? On les laisse moisir en rétention ?» interroge Laurent Giovannoni.

KIM HULLOT-GUIOT

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