Les députés LREM sous contrôle
Multipliant les réunions, l’exécutif se démène pour faire accepter son texte de loi sur l’immigration auprès des élus de la majorité.
Des rencontres informelles à foison, de la «pédagogie» à la demande, des chevau-légers missionnés dans les médias pour porter la bonne parole: l’exécutif parie sur la forme pour faire avaler à sa majorité un serrage de boulons de sa politique migratoire. Mercredi soir, le Premier ministre, Edouard Philippe, a reçu les piliers de la majorité et les députés LREM de la commission des lois, en pointe sur le sujet. Objectif : parachever sa stratégie de communication sur son futur projet de loi «asile et immigration», de sorte à étouffer dans l’oeuf toute grogne dans les rangs des parlementaires. Il y avait urgence. Car les députés macroniens, qui depuis mi-décembre s’interrogent, non sans inquiétude pour certains, sur le contenu du projet attendu en Conseil des ministres le 21 février, sont désormais fixés. Diffusées mercredi par Matignon aux associations d’aide aux réfugiés, les principales dispositions sont sur la place publique. La tonalité est claire : si le gouvernement affirmait vouloir préserver l’équilibre entre «humanisme» et «fermeté» vis-à-vis des migrants, le plateau de la balance penche nettement à droite. Sous couvert de «réduire le délai de traitement des demandes d’asile», objectif largement consensuel, l’exécutif pousse une batterie de mesures visant à restreindre les recours des réfugiés et faciliter les reconductions. Au menu des points sensibles identifiés par les députés LREM : la réduction de moitié du délai accordé aux demandeurs d’asile déboutés pour faire appel, mesure qualifiée d’«atteinte aux droits et aux principes portés par la Cour européenne des droits de l’homme» par le directeur général de France Terre d’asile, Pierre Henry. Ou le développement de l’usage des audiences par vidéo, en dépit de la résistance des avocats. Pour faciliter les expulsions, il est prévu d’allonger la durée de rétention administrative jusqu’à 90 jours, voire 105 jours dans certains cas (au lieu de 45 jours aujourd’hui). Une mesure «inutile et plus punitive qu’efficace», pour Pierre Henry, qui rappelle que 90% des éloignements se font au bout de douze jours. En sus, l’exécutif prend clairement le parti de l’«immigration choisie», s’alignant sans complexe sur les thèses jusque-là défendues par le parti Les Républicains. Jusqu’à prôner la création d’un «passeport santé» pour la «patientèle solvable des hôpitaux», en clair les riches dignitaires étrangers, tout en restreignant les conditions d’accès aux soins pour les réfugiés «réadmissibles dans un autre pays de l’Union européenne»…
Si, le 20 décembre, Gérard Collomb avait abandonné son idée de faire figurer dans son projet de loi la notion contestée de «pays tiers sûrs», il n’aura donc fait aucune autre concession aux associations et à l’aile gauche de sa majorité. C’est que le ministre de l’Intérieur fait le pari que l’indignation déclenchée au sein du groupe LREM par la circulaire du 12 décembre (lire pages 2 et 3) restera sans lendemain. Et pour ce faire, il n’a pas ménagé ses efforts: depuis mi-décembre, Collomb a multiplié petits-déjeuners et dîners avec des groupes restreints d’élus LREM en fonction de leur zone géographique. Une centaine a déjà été reçue place Beauvau, et les pince-fesse devraient se poursuivre jusqu’à réception de la totalité du groupe. L’occasion pour Gérard Collomb de répondre en direct aux questions qui fâchent.
Mise en garde
Lors d’un dîner place Beauvau, le 4 janvier, entre le ministre et les députés LREM et Modem de Paris, des Yvelines et des Hauts-de-Seine, certains ont à nouveau fait part de leurs réserves sur la circulaire. «J’ai interrogé Gérard Collomb sur le timing de cette circulaire, raconte un participant. Quand on a un grand débat sur la refonte de l’asile deux mois plus tard, j’ai dit que ce choix posait question et que braquer les associations n’était pas la meilleure chose.» D’autres se sont inquiétés des informations circulant sur des tentes de migrants lacérées par des forces de l’ordre. Soucieux d’apaiser les esprits, le ministre a mis en garde contre ce qu’il considère comme des «fake news» et, selon un convive, «a assuré qu’il n’y avait pas de volonté politique d’avoir ce type de dérapage». A l’en croire, s’ils étaient établis, ces derniers seraient «sanctionnés».
Ce travail au corps doit se poursuivre lundi, lors du séminaire de rentrée du groupe LREM à l’Assemblée. Plusieurs membres du groupe
«Si l’on accueille et intègre mieux les personnes éligibles à l’asile, celles qui en sont déboutées n’ont pas vocation à rester.» Aurore Bergé porte-parole du groupe LREM à l’Assemblée
de travail, soigneusement débriefés dès mardi soir par Collomb lors d’un nouveau dîner place Beauvau (dont la leader LREM de la commission des lois Naïma Moutchou, les députés Florent Boudié, Marie Guévenoux et Elise Fajgeles) prendront la parole pour présenter le texte. Et écouter les doléances. «On en est à la phase défrichage», temporise la présidente de la commission des lois, Yaël Braun-Pivet, qui garde pour elle son avis sur le texte afin d’éviter de «préempter le débat». Le 23 janvier, le ministre de l’Intérieur doit venir en personne devant le groupe LREM pour s’assurer de sa cohésion. Et éviter que certains points sensibles du texte, comme le doublement de la durée de rétention administrative, cristallisent les doutes.
En parallèle, plusieurs «démineurs» ont été mandatés par l’exécutif pour rassurer les troupes potentiellement troublées. Ainsi du porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, du chef du parti macronien, Christophe Castaner, et de l’une des porte-parole du groupe LREM à l’Assemblée, Aurore Bergé. A l’aise avec le texte, la députée (ex-juppéiste) défend sans états d’âme un ensemble «équilibré», et estime qu’«il faut assumer que si l’on accueille et intègre mieux les personnes éligibles à l’asile, celles qui en sont déboutées n’ont pas vocation à rester». Un message relayé par le vice-président du groupe, Pacôme Rupin, pour qui le texte «pragmatique, pas idéologique, respecte les objectifs inscrits dans le programme d’Emmanuel Macron». En bref, s’attaquer à Collomb reviendrait à défier le chef de l’Etat.
«En Angleterre»
L’implication du Président sur le dossier incite le groupe à la pondération. D’autant qu’avec la venue de Macron à Calais, mardi, suivie le lendemain d’un sommet franco-britannique, des élus espèrent une avancée sur la renégociation des accords du Touquet, fixant depuis 2004 la frontière à Calais. «Après le Brexit, on pensait qu’ils allaient être revus, que ça changeait la donne, explique la présidente (LREM) de la commission des affaires sociales, Brigitte Bourguignon, dont la circonscription s’étend de Boulogne-sur-Mer à Calais. Pour moi, la frontière est de nouveau en Angleterre. De Calais, on voit les côtes anglaises, les réfugiés ne comprennent pas qu’on les empêche de traverser pour rejoindre leur famille.»
En «traitant» les députés, l’exécutif parie donc que la majorité fera bloc. De fait, plutôt qu’une contestation frontale des dispositions déjà actées par Collomb, plusieurs primodéputés LREM préfèrent pousser en haut lieu de nouvelles idées susceptibles, à leurs yeux, de rééquilibrer le texte. Lesquelles devraient figurer pour une partie dans le rapport que prépare Aurélien Taché, dans le cadre de la mission sur l’intégration que lui a confiée l’exécutif. Le député du Val-d’Oise propose ainsi de créer un «parcours d’intégration citoyen et professionnel» qui s’enclencherait, non pas une fois les papiers obtenus, mais dès le dépôt d’une demande d’asile. A la clé, des cours de français automatiques, un permis de travail, la possibilité de se former, voire le droit à certaines prestations sociales. «Les personnes ne seraient plus contraintes à la clandestinité, cela prouverait une volonté d’accueil a priori», estime son collègue Sacha Houlié (LREM).
Ces propositions, à rebours de l’esprit actuel du texte, rencontrent un écho favorable chez des élus de sensibilité de gauche comme Brigitte Bourguignon ou Delphine Bagarry, élue des Alpes-de-Haute-Provence. Auteure d’un rapport sur les missions de solidarité dans le cadre du projet de loi de finances 2018, cette dernière voudrait aller plus loin en remédiant à «la situation ubuesque des mineurs isolés pris en charge par l’aide sociale à l’enfance plusieurs années durant, qui se retrouvent sans papiers à l’âge de 18 ans». Pas sûr que l’exécutif donne suite.
LAURE EQUY et NATHALIE RAULIN