Dans le centre d’hébergement d’urgence du boulevard Sébastopol, l’autorisation par le ministère de l’Intérieur d’opérations de contrôle au sein de ce type d’établissement suscite de vives inquiétudes.
Emmaüs Paris : «Depuis l’annonce de cette circulaire, je ne dors plus» Suite page 6
C’était la mauvaise nouvelle de trop, de celles qui se répandent comme une triste traînée de poudre. Gabriel (1), 28 ans, l’a reçue il y a trois semaines, en regardant le journal de 20 heures installé dans la salle télé du centre d’hébergement d’urgence (CHU) du 57, boulevard Sébastopol, qui l’héberge depuis maintenant cinq mois: il craint que la circulaire Collomb, qui demande aux structures d’accueil d’urgence de recenser leurs bénéficiaires, ne lui laisse aucun répit dans les prochains mois. «Je suis complètement bouleversé. Quand je dormais dans la rue, sous le pont porte de la Chapelle, j’avais peur chaque nuit d’être renvoyé au pays, raconte-t-il, assis sur son lit, le regard éteint et les mains liées par l’inquiétude. En trouvant un toit, je pensais retrouver un peu de paix intérieure. Depuis l’annonce de cette circulaire, je ne dors plus. Qu’est-ce qu’on va devenir ? Je suis épuisé.» Arrivé seul en France le 1er mai 2015, l’ancien barman de Gao avait fui la guerre au Mali trois ans plus tôt. Aujourd’hui débouté par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) pour une demande de droit d’asile, il est sans papiers à Paris. «Le genre de profil qui a toutes les raisons de craindre la circulaire gouvernementale», souligne Muguette Valmorin, la responsable de ce centre doté de onze salariés, géré par Emmaüs.
Créée en 2013, cette structure gratuite et ouverte 24 heures sur 24 accueille uniquement des hommes (62 actuellement), tous majeurs et isolés, âgés de 23 à 72 ans, dont douze sont des migrants. Le bâtiment de 800 mètres carrés est composé d’une cantine, d’un foyer, de douches collectives et de 28 chambres (individuelles, de deux ou trois lits), répartis sur quatre étages garnis de moquette.
«TURN-OVER»
«On craint que le gouvernement veuille faire le tri de notre public», poursuit la directrice du centre. Si on schématise, il y a les migrants qui sont, à l’heure actuelle, dans une démarche de demande de droit d’asile et qui seront donc “épargnés” par la circulaire [ils sont placés temporairement dans ce centre d’urgence par la Direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement, ndlr]. Et puis il y a tous les autres sans-papiers, à qui l’Etat français a refusé le droit d’asile ou qui ne peuvent tout simplement pas y prétendre [ils sont redirigés vers cet établissement d’Emmaüs par le 115 ou le service intégré d’accueil et d’orientation]. Cette circulaire pourrait conduire à une hiérarchisation du public que nous recevons. Nous refusons de faire une distinction entre les êtres humains.»
«La plupart des hommes se sont sédentarisés ici car ils n’ont plus aucun espoir hors de ses murs.» Muguette Valmorin responsable du centre Emmaüs
Charles, Mauritanien de 48 ans, vit également dans ce centre d’hébergement du Ier arrondissement de la capitale. Il y partage une chambre de 20 mètres carrés à la fenêtre opacifiée, une armoire, une table de chevet, deux altères avec un autre camarade depuis presque trois ans. «A l’origine, cette structure d’urgence repose sur un principe de passage et de turn-over, précise Muguette Valmorin, mais le manque de solutions de sortie, malgré notre accompagnement administratif, a conduit cette structure à devenir un CHU de stabilisation. La plupart des hommes se sont sédentarisés ici car ils n’ont plus aucun espoir hors de ses murs.»
Charles est lui aussi sans papiers. Il a quitté son pays en 2009 et n’a toujours pas réussi à régulariser sa situation: «J’envoie mes papiers à l’administration depuis des années sans jamais obtenir de réponse, et maintenant ils veulent venir me chercher comme on vient récupérer un animal qu’on envoie à l’abattoir. Je n’ai rien fait de mal, je n’ai pas volé, violenté personne. Je ne suis pas là pour faire le mal, je cherche juste à survivre.» Assis dans le gros fauteuil en cuir de la salle commune, il raconte qu’un habitant du centre d’hébergement, effrayé par la circulaire