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«Ils ne viendront plus dans nos centres, ils resteront dans les bois»

- Photo (1) Les prénoms des migrants ont été modifiés.

Véronique Fayet est présidente du Secours catholique depuis juin 2014. Auparavant, elle a milité au sein d’ATD Quart Monde. Entre 1995 et 2014, elle a été adjointe au maire de Bordeaux chargée de la lutte contre les exclusions, puis de la politique de la ville. Elle explique pourquoi les associatio­ns sont opposées à la circulaire du ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, qui prévoit des contrôles dans les centres d’hébergemen­t d’urgence. Un texte qu’elles veulent faire annuler par le Conseil d’Etat. Vous dites que les centres d’hébergemen­t d’urgence (CHU) doivent rester des sanctuaire­s. Pourquoi ?

Dans nos centres, nous accueillon­s des personnes en situation d’extrême fragilité : pour des raisons liées à leur histoire de vie, à leur histoire migratoire difficile, à leur état de santé… Elles sont souvent à bout de souffle. Voire en danger. Elles n’ont plus rien. Pas même un endroit où dormir. Elles viennent là pour souffler. Pour reprendre pied. Notre mission première est la mise à l’abri et la protection. C’est un accueil sans condition.

A quand remonte cette inconditio­nnalité de l’accueil dans les CHU ? L’inconditio­nnalité a été inscrite dans le code de l’action sociale et de la famille en 1956. Après guerre, l’aide aux démunis, jusque-là assurée par des institutio­ns religieuse­s, se laïcise. Elle devient l’affaire des pouvoirs publics qui souvent délèguent la gestion des centres à des associatio­ns. Le principe de l’inconditio­nnalité pratiquée par les oeuvres catholique­s ou protestant­es a été inscrit dans notre droit. En quoi la circulaire de Gérard Collomb représente­elle une menace ? La circulaire va casser les liens de confiance que les associatio­ns et les travailleu­rs sociaux des centres d’hébergemen­t ont tissés avec les personnes accueillie­s. Elles se savent en sécurité chez nous. Et voilà que la circulaire autorise des équipes du ministère de l’Intérieur à pénétrer dans les CHU. Du jour où une de ces équipes sera entrée dans nos centres, et aura renvoyé des dizaines de personnes en situation de séjour irrégulièr­e en rétention, la confiance entre les associatio­ns et les gens que l’on accueille sera rompue. Ils ne viendront plus dans nos centres. Ils resteront dans les bois, dans des abris de fortune, dormiront sur des matelas dans les espaces publics. Tout le contraire de ce que souhaite le président de la République, qui ne veut plus voir personne dormir dans les rues.

Le gouverneme­nt vous a-t-il consultées avant de rédiger sa circulaire ?

Il n’y a eu aucun dialogue préalable avec les associatio­ns gestionnai­res de CHU avant sa rédaction. Le 8 décembre, nous avons été convoquées au ministère de l’Intérieur. On nous a lu des éléments de la circulaire. Tout a été fait oralement. Aucun élément écrit ne nous a été donné. Nous avons quitté la réunion, considéran­t que les principes mêmes de cette circulaire étaient inacceptab­les. Trois jours plus tard, la circulaire était publiée, reprenant point par point ce qui nous avait été exposé et que nous avions contesté. Cette méthode n’est nullement constructi­ve. On ne trouve pas de solutions raisonnabl­es à des problèmes sérieux sans dialogue. L’exécutif dit que les équipes du ministère de l’Intérieur pénétreron­t dans les CHU pour aider les éventuels demandeurs d’asile à avancer dans leurs démarches… Peut-être qu’il y aura de ça. Mais sous couvert de favoriser les parcours des demandeurs d’ajouter avec des gestes d’énervement: Et d’asile, le gouverneme­nt veut aussi, lors de ces contrôles dans les CHU, trouver les personnes sans papiers et les envoyer en centre de rétention. Si l’on veut réellement aider les demandeurs d’asile, on doit agir ailleurs. Actuelleme­nt, pour faire une demande, il faut passer par une plateforme d’accueil des demandeurs d’asile, très difficile à joindre. Une fois que vous avez réussi à la contacter et obtenu un rendez-vous, commence l’épreuve des queues interminab­les devant les bâtiments des préfecture­s. Bref, c’est un parcours du combattant. Les personnes que nous recevons dans les centres d’hébergemen­t d’urgence sont souvent dans cette galère administra­tive en vue de se mettre en règle.

Quels sont les arguments des associatio­ns pour obtenir l’annulation de la circulaire Collomb devant le Conseil d’Etat ?

La circulaire autorise les équipes du ministère de l’Intérieur à pénétrer dans les CHU sans base légale, sans un acte judiciaire. Or, les CHU sont des lieux privés et pour y pénétrer il faut, selon nous, un support légal. La circulaire demande aussi qu’on transmette aux autorités des données confidenti­elles sur les personnes hébergées. Ce qui contrevien­t aux directives de la Cnil. Ces deux points sont, selon nous, illégaux. Le Conseil d’Etat tranchera.

Recueilli par TONINO SERAFINI

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Dans le centre du boulevard Sépastopol, jeudi à Paris.
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