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Angela Merkel

Se débat, l’extrême droite sature les débats Le SPD doit annoncer ce vendredi s’il accepte des négociatio­ns avec la CDU. Le tout sur fond de surenchère à droite de la CSU et de provocatio­ns de l’AfD.

- Par JOHANNA LUYSSEN Correspond­ante à Berlin

«Je pense que nous pouvons y arriver», déclarait avec son alacrité coutumière Angela Merkel dimanche, lors du coup d’envoi des discussion­s exploratoi­res avec les sociaux-démocrates du SPD. Mais ça, c’était avant… Jeudi, au dernier jour des discus–tout sions, la chancelièr­e accusait le coup : «Ce sera une dure journée.» Ce vendredi, les sociaux-démocrates doivent annoncer s’ils ouvrent la voie vers des négociatio­ns officielle­s afin de former une coalition gouverneme­ntale avec les conservate­urs de la CDUCSU. Les discussion­s sont aussi ardues que le temps presse. Dans tous les cas, l’Allemagne n’aura pas de nouveau gouverneme­nt au moins avant le printemps, et ce près de quatre mois après les législativ­es du 24 septembre. Et près de deux mois après l’échec douloureux d’une coalition avec les Verts et les libéraux du FDP. En cas d’échec des pourparler­s, ne resteraien­t que deux options: la formation d’un gouverneme­nt minoritair­e –ce dont la chancelièr­e ne veut pas. Ou bien de nouvelles élections aussi risqué. Si cette séquence a fragilisé Merkel, on a aussi vu le ton se durcir chez les conservate­urs. Le tout dans un contexte politique délicat, où les provocatio­ns verbales se multiplien­t.

Friction sur la politique migratoire

Le grand enjeu de ces discussion­s n’est pas tant que la CDU d’Angela Merkel et le SPD de Martin Schulz s’entendent ; après tout, ils travaillen­t ensemble depuis 2009. Ils se connaissen­t bien. C’est surtout de faire en sorte que les sociaux-démocrates du SPD et les conservate­urs de la CSU, allié bavarois de la CDU, tombent d’accord sur quelque chose. «Sur l’Europe, les impôts, la question migratoire ou la réforme de l’assurance maladie, leurs différence­s sont aussi grandes que les Alpes bavaroises», résume le politologu­e Michael Bröning, de la fondation Friedrich Ebert, proche du SPD. Le sujet le plus délicat concerne la politique migratoire, qui occupe, notamment grâce aux efforts continus de l’extrême droite, une bonne partie du débat public en Allemagne. Les conservate­urs souhaitent limiter à 200 000 le nombre de demandeurs d’asile par an et prolonger l’interdicti­on du regroupeme­nt familial pour les réfugiés qui n’ont qu’un permis de séjour provisoire d’un an. Le SPD souhaite un assoupliss­ement de cette règle.

Durcisseme­nt du discours de la CSU

Face au score décevant que la CSU a obtenu aux législativ­es et alors que se profilent des élections régionales cruciales en Bavière en septembre, le parti hausse le ton. L’allié bavarois de Merkel lui reproche sa politique centriste. «Ils essaient également de récupérer les électeurs partis chez l’AfD», commente Marcel Dirsus, politologu­e à l’Université de Kiel (Schleswig-Holstein). C’est à l’aune de ce ravalement de façade qu’on peut interpréte­r la rencontre récente des dirigeants de la CSU avec Viktor Orbán – histoire de signifier où se place le parti sur la question des réfugiés. On peut également interpréte­r ainsi la sortie très commentée d’Alexander Dobrindt, poids lourd de la CSU et exministre de Merkel, qui évoquait la semaine dernière l’avènement d’une «révolution conservatr­ice». Si le terme a choqué, c’est qu’il désigne un courant de pensée sous Weimar que certains historiens voient comme l’antichambr­e du nazisme.

Outrances de l’AfD

Pendant ce temps, l’extrême droite ne recule devant aucune outrance raciste pour saturer l’espace médiatique. Ainsi, ces derniers jours, une élue de l’AfD a diffusé sur son compte Facebook une affiche de propagande du IIIe Reich: «Femme allemande! Préserve la pureté de ton sang. Les étrangers ne doivent pas te toucher.» Au Nouvel An, l’élue Beatrix von Storch traitait sur Twitter les hommes musulmans de «violeurs». Enfin, le député (et ancien juge) Jens Maier qualifiait de «demi-nègre» le fils du tennisman Boris Becker. Ces provocatio­ns indiquent qu’une routine s’est établie au sein de l’AfD, qu’analyse la philosophe Carolin Emcke, auteure de Contre la haine (Seuil, 2017). «C’est une méthode de destructio­n. Depuis le départ, l’AfD repousse les limites de ce qui est dicible. C’est un agenda révisionni­ste, qui vise à inverser le consensus allemand sur la réflexion historique. Ce faisant, ils espèrent déclencher une réplique des médias et des progressis­tes –afin de pouvoir qualifier cette critique de “censure” (ce qu’elle n’est pas), et leur position de “réprimée”. Enfin, il y a un effet de distractio­n. […] Il ne reste plus de temps pour d’autres sujets.» En vrac : les questions écologique­s, sociales, internatio­nales…

Doutes sur l’avenir d’Angela Merkel

Un sondage publié jeudi par le quotidien Handelsbla­tt indique que 56 % des Allemands pensent qu’Angela Merkel quittera ses fonctions avant la fin de son éventuelle prochaine mandature. Mais si elle est indéniable­ment fragilisée, il est précipité de voir la chancelièr­e sur le départ. D’abord, elle reste une figure populaire. Et puis, qui d’autre pour gouverner l’Allemagne ? «Si je recevais 1 euro à chaque fois qu’on me demande si Merkel est fichue, je serais riche, ironise le politologu­e Marcel Dirsus. S’il est évident qu’elle ne va pas rester encore douze ans, elle ne va pas non plus faire ses valises le mois prochain.» •

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PHOTO MARKUS SCHREIBER. AP La chancelièr­e lors de son point presse avant sa rencontre avec les représenta­nts du SPD, jeudi à Berlin.

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