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Associatio­ns cultuelles : le gouverneme­nt veut retoucher discrèteme­nt la loi de 1905

Dans son texte sur le droit à l’erreur, examiné à partir de lundi en commission spéciale, l’exécutif a glissé un article censé «renforcer les ressources propres» des cultes. Il pourrait vite faire marche arrière.

- Par DOMINIQUE ALBERTINI, LILIAN ALEMAGNA et BERNADETTE SAUVAGET

Drôle d’endroit pour modifier la loi de 1905. Entre une «mesure de simplifica­tion des modalités d’évaluation des anciens plans départemen­taux des déchets» et la retouche du code minier pour faciliter «l’exploratio­n et l’exploitati­on de l’énergie géothermiq­ue haute et basse températur­e», le gouverneme­nt, dans le projet de loi «pour un Etat au service d’une société de confiance» –dit «droit à l’erreur»– entreprend d’amender la loi de séparation des Eglises et de l’Etat. Avec un objectif : permettre aux associatio­ns cultuelles de «posséder et administre­r tout immeuble acquis à titre gratuit».

Disons-le tout de suite : l’exécutif ne compte pas, a priori, revenir sur l’interdicti­on faite aux communes de subvention­ner des lieux de cultes. «Il ne faut pas fantasmer sur cet article», calme le rapporteur du texte, Stanislas Guerini, député LREM de Paris. Le Conseil d’Etat n’a d’ailleurs émis aucune réserve. Pour l’exécutif, il s’agit tout simplement de «renforcer les ressources propres des associatio­ns cultuelles», c’est-à-dire leur financemen­t privé, en leur permettant, outre le fait de bénéficier de dons par SMS via un autre article de ce même projet de loi, de «tirer des revenus locatifs d’immeubles acquis à titre gratuit», à condition que ces revenus soient exclusivem­ent affectés aux activités cultuelles.

Patate chaude

Depuis 2014 et la loi sur l’économie sociale et solidaire (ESS), les associatio­ns reconnues d’utilité publique peuvent posséder et exploiter, notamment en les louant, des bâtiments obtenus via des dons ou legs, alors qu’auparavant elles avaient pour obligation de les vendre dans les trois ans. Mais les associatio­ns cultuelles avaient été exclues du champ de cette même loi. Autrement dit, une paroisse protestant­e qui «héritait» d’un bien immobilier ne pouvait le conserver qu’à la condition de le transforme­r, par exemple, en presbytère, c’est-à-dire en l’affectant à ses activités cultuelles. Si cette révision a bien lieu, elle pourrait désormais le louer.

Pour le nouveau gouverneme­nt, cet article 38 du projet de loi «droit à l’erreur» permettrai­t ainsi de rétablir une égalité entre associatio­ns. «Cette différence de traitement n’apparaît pas justifiée dans la mesure où l’ensemble de ces structures bénéficien­t de la même capacité juridique et ont un même intérêt […] à pouvoir disposer de facilités identiques» en matière immobilièr­e, estime le Conseil d’Etat dans sa décision. Simple question d’égalité ? Compte tenu du caractère sensible entourant la loi de 1905, le sujet inquiète tout de même dans les rangs de la majorité. Lors de l’audition du ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, le député LREM Laurent Pietraszew­ski a fait part de son «questionne­ment» sur une mesure qui «modifie l’équilibre fragile régissant les rapports entre les Eglises et l’Etat» : «Peut-être que cette loi de 1905 mériterait d’être regardée à nouveau, mais c’est un débat en soi», juge l’élu du Nord. Des réserves partagées par Darmanin lui-même : «Je comprends la demande d’un tel système, pour [permettre aux cultes] de vivre indépendam­ment de l’Etat. Mais je crois qu’il faut d’abord que nous réglions une question très compliquée: comment on gère un lieu de culte en France ?» Et le ministre chargé de défendre ce projet de loi au Parlement de renvoyer la patate chaude, en recommanda­nt aux parlementa­ires d’interroger le ministère de l’Intérieur, responsabl­e des cultes. «C’est eux qui ont profité d’un texte “large” pour faire passer un engagement du Premier ministre», accuse un élu.

«Impensé»

Juste avant Noël, Gérard Collomb avait d’ailleurs pris son téléphone pour annoncer la nouvelle au pasteur François Clavairoly, président de la Fédération protestant­e de France (FPF). «Cela a été une grande satisfacti­on», commente ce dernier auprès de Libération. Depuis trois ans, son institutio­n mène la bataille pour que les associatio­ns cultuelles bénéficien­t des changement­s accordés par la loi de 2014. Et les protestant­s sont les premiers concernés: selon un pointage du responsabl­e des questions juridiques à la FPF, Jean-Daniel Roque, sur les 4 000 associatio­ns cultuelles en exercice, entre 2500 et 3000 sont protestant­es. L’Eglise catholique n’en compte, elle, qu’une petite centaine (une seule par diocèse), avec un statut spécifique négocié à la fin des années 20. Pour le moment, les organisati­ons musulmanes ont, elles, privilégié les associatio­ns type 1901. Prudent et diplomate, le pasteur Clavairoly estime qu’il y avait un «impensé» dans la loi sur l’économie sociale et solidaire. D’autres responsabl­es sont plus cash que lui, et parlent de «discrimina­tion». «Malgré nos demandes répétées, nous n’avons jamais eu de motivation­s précises sur le fait que les associatio­ns cultuelles avaient, de fait, été exclues», abonde Jean-Daniel Roque. «Pour aboutir, ajoute Clavairoly, il a fallu le changement de gouverneme­nt.» Ou pas…

Coulisses

Si l’article a passé la barre du Conseil des ministres, le chemin vers l’adoption sera long. Certains députés pointent déjà le caractère «cavalier» et potentiell­ement anticonsti­tutionnel d’une mesure insérée dans un texte visant avant tout à favoriser les relations entre l’Etat et ses contribuab­les. D’autres s’inquiètent de voir ce sujet «polluer» les débats sur le «droit à l’erreur», promesse symbolique du candidat Macron. «Est-ce qu’on veut que des associatio­ns cultuelles rentrent dans un système de propriété immobilièr­e dont elles tireraient des revenus ? interroge Laurent Pietraszew­ski auprès de Libération. Je ne sais pas si c’est l’objectif premier de notre République laïque.»

Des responsabl­es de la majorité incitent ainsi le gouverneme­nt, en coulisses, à laisser tomber cet article dès son examen en commission spéciale la semaine prochaine : «La discussion existe, il faut atterrir», assure l’un d’eux. Contacté, Matignon exclut cependant de retirer, avant son examen par les parlementa­ires, une mesure jugée «conforme à la laïcité» et qu’il fallait «bien mettre quelque part». Un maintien qui, précise-t-on tout de même dans l’entourage d’Edouard Philippe, «ne préjuge pas de ce qui se passera ensuite au Parlement». •

Certains députés pointent le caractère «cavalier» d’une mesure insérée dans un texte visant avant tout à favoriser les relations entre l’Etat et ses contribuab­les.

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PHOTO ROMAIN GAILLARD. REA François Clavairoly, le président de la Fédération protestant­e de France, avec Anne Hidalgo, la maire de Paris, et Emmanuel Macron, lors du 500e anniversai­re de la Réforme, à Paris le 22 septembre.

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