Lait infantile contaminé : Le Maire charge Lactalis et les distributeurs
Le ministre de l’Economie a mis en cause jeudi les défaillances de l’industriel dans le retrait des lots suspectés d’être contaminés à la salmonelle. Et convoqué ses dirigeants ce vendredi.
La salve est on ne peut plus nourrie : «Affaire grave», «comportements inacceptables qui devront être sanctionnés», «dysfonctionnements majeurs», «entreprise seule responsable de ce qui s’est passé», «intérêts particuliers qui ne peuvent passer au-dessus de l’intérêt général»… Jeudi midi, Bruno Le Maire a sorti la sulfateuse contre Lactalis depuis son ministère de l’Economie. Dans son viseur : la gestion de la crise sanitaire – la présence de salmonelles dans l’usine de Craon (Mayenne) et la contamination de poudres de lait infantile ayant déclenché une salmonellose chez 35 nourrissons, dont 18 ont dû être hospitalisés – par le géant laitier français depuis début décembre. Objectif : insister sur l’action de l’Etat dans cette affaire, Etat qui «a dû se substituer à un industriel défaillant».
Quels sont les arguments de Bercy ?
Listant par le menu les différents épisodes de la crise du lait contaminé depuis la découverte officielle de salmonelles, le 1er décembre, à Craon, Bruno Le Maire a insisté sur le fait d’avoir dû prendre, le 9 décembre, un arrêté demandant l’arrêt de la commercialisation de ces laits incriminés et le rappel de 600 lots, soit 11000 tonnes de produits (dont 7000 destinés au marché français), fabriqués depuis le 12 février 2017: «Si Lactalis avait décidé luimême du retrait, je n’aurais pas eu à prendre de décret ni à frapper aussi fort, même si je ne le regrette pas.» L’occasion aussi, pour le locataire de Bercy, de marteler que «2 500 contrôles ont été réalisés par la DGCCRF [Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ndlr] depuis le 26 décembre dans des magasins, crèches et hôpitaux», contrôles qui ont relevé que 91 établissements (grandes surfaces, grossistes, pharmacies…) détenaient des produits possiblement contaminés et qui ont fait l’objet d’un procès-verbal qui a été transmis à la justice.
Dès la semaine prochaine, «2500 nouveaux contrôles seront effectués», a annoncé le ministre. A la question de savoir s’il avait décidé de communiquer après les déclarations, mercredi, des grands distributeurs qui reconnaissent leurs erreurs, Le Maire a proposé de s’interroger à l’envers. Sous-entendu : n’est-ce pas la divulgation par ses soins, jeudi matin, du résultat des contrôles effectués qui aurait amené les distributeurs à se dénoncer les uns après les autres ?
Quelle est la réponse de Lactalis ?
C’est à Michel Nalet, directeur de la com de Lactalis, qu’est revenue jeudi aprèsmidi l’opération déminage après les tirs de Bercy. Visage défait, débit affecté: le porteparole de l’industriel mayennais a «renouvelé [s]es excuses aux parents» qui ont acheté du lait susceptible d’être contaminé. Assurant, la mine grave: «Depuis le début de la crise, nous travaillons en parfaite collaboration avec les services de l’Etat […]. En décidant, le 21 décembre, de rappeler l’ensemble des laits et produits infantiles élaborés à Craon, nous avons appliqué un principe de précaution maximum.»
Le porte-parole refuse aussi le terme de «défaillance» employé par le ministre. Mieux, Nalet a déclaré : «La qualité de nos produits est notre priorité numéro 1.» Puis: «Nous avons appliqué un principe de précaution maximum.» Les parents des enfants hospitalisés apprécieront.
«Convoqué» par Bruno Le Maire, Lactalis devra s’expliquer ce vendredi matin. On brûle de savoir si le géant du lait sera cette fois représenté par son PDG, Emmanuel Besnier, pour rencontrer le locataire de Bercy. Ce qui serait en soi un événement: le milliardaire mayennais a fait religion de discrétion et de non-communication. Pour rappel, l’ex-ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll ne disposait pas de son numéro de téléphone portable. Pas plus que son successeur Rue de Varenne, Stéphane Travert…
Quelle est la réponse des distributeurs ?
On le sait désormais de leur aveu : E. Leclerc, Système U, Intermarché, Auchan et Carrefour ont vendu des poudres de lait au-delà du 21 décembre, date à laquelle a été annoncé le retrait total de produits potentiellement contaminés par la bactérie. Un «dysfonctionnement majeur dans la procédure de rappel par les opérateurs, dont c’est la responsabilité», estime Stéphane Travert. En conséquence, Intermarché a annoncé bannir définitivement de ses rayons les gammes de produits Lactalis en cause. Par ailleurs, Monoprix, Intermarché et Casino ont mis en place un blocage des produits incriminés en caisse. Cela n’a pas empêché leurs dirigeants d’être convoqués à Bercy jeudi, en début de soirée. Lors de cette réunion, ils ne se sont pas étendus sur leurs manquements de vigilance mais ont certifié avoir prévenu les propriétaires de magasins des risques pénaux encourus en cas de commercialisation des laits en cause. •