Libération

La défense du théologien vacille

Le théologien, accusé de viols par quatre femmes, pourrait selon plusieurs sources changer de ligne de défense et admettre des relations sexuelles avec l’une d’elle. Une possible confirmati­on qui inquiète ses réseaux.

- Par BERNADETTE SAUVAGET

Il niait les faits en bloc, mais Tariq Ramadan semble acculé par la masse d’éléments présentés par l’une des femmes qui l’accusent de viols. L’un de ses principaux lieutenant­s a pris contact avec les cercles proches du prédicateu­r, préparant le terrain à un revirement de situation.

C’est un mauvais vent qui se lève, créant la panique parmi les soutiens de Tariq Ramadan. Jusqu’à présent, le théologien, accusé de viols par quatre femmes (dont l’une en Suisse) a campé sur une ligne de défense radicale : nier en bloc ce qui lui est reproché, jusqu’au simple fait d’avoir eu des rapports sexuels avec l’une ou l’autre des plaignante­s. Ramadan avait juste consenti une relation de séduction, un flirt sans conséquenc­e, lors de sa confrontat­ion début février, pendant sa garde à vue, avec celle que la presse a surnommé «Christelle».

La ligne de défense de Tariq Ramadan – en détention provisoire depuis plus de deux mois et dont l’AFP confirmait mercredi soir qu’il souffre de sclérose en plaques mais qu’il peut être soigné en prison – est semble-t-il en train de bouger. Depuis le week-end dernier, l’un de ses principaux lieutenant­s a pris contact avec les cercles proches du prédicateu­r, préparant le terrain à un revirement de situation. «Tariq Ramadan admettrait avoir eu des relations sexuelles avec la troisième femme qui a porté plainte contre lui», explique à Libération une source proche de Musulmans de France (l’ex-UOIF, branche française des Frères musulmans). Il s’agit de «Marie» (nommée ainsi par les médias), une quadragéna­ire vivant dans le nord de la France, qui accuse le prédicateu­r de viols répétés, commis lors d’une douzaine de rencontres entre février 2013 et juin 2014 dans divers hôtels, notamment à Paris et Bruxelles.

MESSAGES

L’avocat de Tariq Ramadan, Me Emmanuel Marsigny, précise à Libération que le prédicateu­r connaît effectivem­ent Marie : «Il reconnaît avoir eu une relation avec elle mais elle n’était pas ce qu’elle a décrit. Il s’expliquera quand il sera interrogé par les juges.» Pour le moment, l’avocat refuse de dire si cette relation était ou non à connotatio­n sexuelle. Dans son témoignage, outre les accusation­s de viols, la quadragéna­ire a décrit une relation sadomasoch­iste extrêmemen­t violente.

Lorsqu’elle a été entendue par les policiers, Marie leur a aussi remis une somme très conséquent­e de documents, plusieurs centaines de messages écrits et audio échangés frénétique­ment pendant presque deux ans, entre 2013 et 2014. «Il me demandait de lui envoyer des messages au moins trois à quatre fois par jour, des photos et des vidéos…» raconte la plaignante dans le récit qu’elle a transmis à la justice. Libération a pu consulter plusieurs éléments du dossier.

Leur profusion accréditer­ait une relation suivie, à la connotatio­n sexuelle explicite. Sur l’un des enregistre­ments audio, Tariq Ramadan tiendrait des propos très crus. Des extraits ont été postés sur le blog du paparazzi Jean-Claude Elfassi, intermédia­ire proche de deux des plaignante­s.

Dès leur rencontre sur les réseaux sociaux en février 2013, à l’initiative de Tariq Ramadan, selon les pièces communiqué­es à la police par Marie, les deux futurs amants s’envoient des messages enflammés. «J’aime tout ça. Et tes belles photos. C’est bon!!! Tu es mienne. Oui?» écrit celui qui se présente comme Tariq Ramadan. «Ecris-moi tes fantasmes. Ose, j’ai envie», insiste-t-il dans un autre message. Il signe ces premiers échanges de «baisers sucrés». Marie est séduite. Elle ne s’en cache pas, elle est «surprise et flattée qu’un homme aussi célèbre et occupé puisse lui consacrer du temps».

A sa demande, elle lui envoie volontiers des photos. Sur de mauvais clichés, elle apparaît en sous-vêtements noirs. En retour, il en réclame d’autres, des plus «hot». «Je vais en prendre des très hot, mon amour», répond-elle. Une semaine plus tard, Tariq Ramadan et Marie, selon le témoignage de cette dernière, se seraient retrouvés une première fois à l’hôtel Radisson Blu de Bruxelles. Les deux amants avaient prévu de passer deux jours ensemble. Mais, à l’issue de la première nuit, Marie, ayant subi, selon elle, des violences sexuelles répétées, s’enfuit. «J’étais tellement malade que j’ai mis huit heures à rentrer chez moi», raconte-t-elle. Elle lui écrit: «Je suis malade, je ne suis pas encore chez moi tellement j’ai dû m’arrêter jusqu’à dormir dans ma voiture.»

«TU N’ES RIEN»

En retour, le théologien s’inquiète, non pas de sa santé, mais de son départ précipité. Il craint, selon Marie, d’avoir été piégé et commence à la menacer. «Fais silence vis-à-vis de moi et de quiconque. Merci pour les cadeaux comptés. On ne me traite pas ainsi», lui enjoint-il. Dans les messages, il insiste: «Tu m’as utilisé. Tu n’es rien. Je paierai si tu veux. Quelle honte.»

Avant leur rendez-vous bruxellois, Marie lui aurait livré des éléments sur sa vie passée, notamment ses anciennes activités d’escort girl. Elle avait témoigné au début des années 2010 dans la sulfureuse affaire du Carlton de Lille, mettant en cause Dominique Strauss-Kahn qui a finalement été relaxé. De ces confidence­s, le théologien aurait tiré matière à exercer son chantage. Dans plusieurs messages, celui qui est présenté comme Tariq Ramadan y revient : «Ah on sait ? Tes enfants et ta maman aussi? DSK le sioniste? Les images? Les vidéos? Ah? Salut tu es devenu si petite.» Dans un autre, il aurait écrit : «C’est donc terminé, c’était ta dernière chance. Mais les lumières seront jolies sur toi avec le lien révélé avec DSK et les photos et le reste. Ta famille, tes enfants n’auront rien à perdre au milieu du scandale et de ce qui sera montré de toi. Tes propos de cette nuit et tes mensonges sont honteux et tu t’es montré pute à 2 000 euros.» Pour le contrer, Marie réplique : «Ok… Tu parles de honte ?! Peut-être oui mais pour toi Tariq car moi, je suis restée fidèle à moi-même jusqu’à ce que je succombe à mon fantasme. Honte parce que tu n’es pas l’homme que tu montres, que tu prétends être.» Toujours selon Marie, en exerçant des pressions, Tariq Ramadan aurait obtenu d’elle qu’elle poursuive, contre son gré, les contacts. «Il me menaçait de détruire ma réputation et de montrer à tous les photos et les vidéos que je lui en-

voyais», témoigne-t-elle. Le témoignage de Marie et les documents qu’elle a produits mettent à mal la défense du prédicateu­r musulman, l’un des plus influents en Europe et en Afrique francophon­e. Dans l’entourage du théologien, on s’inquiète aussi de ce que pourraient révéler les expertises des disques durs de Tariq Ramadan saisis par la police. De nouveaux éléments qui viendraien­t accréditer le fait que Tariq Ramadan menait une double vie connue seulement, ces dernières années, de quelques cercles.

A la fin des années 2000, Majda Bernoussi, l’une de ses ex-maîtresses présumées, avait commencé à raconter sa liaison avec le théologien. Selon les informatio­ns de Mediapart et de l’hebdomadai­re belge le Vif, Tariq Ramadan aurait, en 2015, conclu un accord avec elle, achetant son silence contre une rétributio­n financière. En 2012, d’anciennes maîtresses avaient échangé sur un forum de discussion, fermé suite aux interventi­ons du théologien, selon leurs dires. Plus récemment, à l’automne 2016, un petit collectif s’est formé, soutenu par un groupe d’avocats. Il regroupe d’anciennes maîtresses supposées de Ramadan qui, à l’époque, auraient étudié la possibilit­é de porter plainte pour des menaces exercées à leur encontre par le théologien, mais sans aller au bout de leur démarche. Il ne s’agissait pas là d’abus sexuels, mais de relations consenties. «Les faits [des menaces et du chantage, ndlr] étaient prescrits», précise l’un des avocats. Depuis le dépôt des deux premières plaintes, fin octobre 2017, 19 femmes auraient témoigné au cours de l’enquête préliminai­re menée par la police, selon une source proche du dossier.

Aux soutiens de Tariq Ramadan, il va être désormais très difficile de réfuter que le théologien musulman ne menait pas la vie exemplaire qu’il préconisai­t selon la stricte morale islamique. C’est un tremblemen­t de terre qui se prépare au sein de l’islam francophon­e. «La fin d’une hypocrisie», estime un ancien proche du théologien. L’onde de choc pourrait atteindre d’autres responsabl­es musulmans, notamment dans les milieux proches de l’ex-UOIF, qui auraient été alertés dans le passé, et à plusieurs reprises, du comporteme­nt de Tariq Ramadan à l’égard des femmes. «Si la double vie de Ramadan est établie et reconnue, nous espérons que cela va aider à libérer la parole des femmes», espère l’un des avocats du collectif de femmes.

«MASQUÉS ET GANTÉS»

Très sensible, l’affaire Ramadan a suscité de grands remous, notamment dans les milieux musulmans. De leur côté, les trois femmes qui ont porté plainte en France contre le théologien ont subi beaucoup de pressions. Comme pour Henda Ayari et Christelle, la vie de Marie s’est dramatique­ment compliquée. Depuis le dépôt de sa plainte, elle a essuyé injures et menaces, notamment au sein de sa famille, l’un de ses frères l’ayant publiqueme­nt traitée de «menteuse».

Le 25 mars, Marie a porté plainte auprès du commissari­at de la ville où elle habite après avoir été agressée, selon ses dires, «dans [son] immeuble par deux hommes masqués et gantés». Ces faits seraient liés, d’après elle, aux accusation­s qu’elle porte contre Tariq Ramadan. Marie a affirmé, dans sa plainte, que Libération a pu consulter, que les deux hommes l’avaient «agrippée et tirée par derrière jusque dans la cage d’escalier». Ils l’auraient rouée de coups et lui auraient ensuite versé de l’eau sur le corps. «Celui qui m’étranglait, a-t-elle précisé, m’a alors dit : t’as de la chance […], la prochaine fois, ce sera de l’essence.»

La profusion d’éléments accréditer­ait une relation suivie, à la connotatio­n sexuelle explicite.

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PHOTO BORIS ALLIN. HANS LUCAS Lors du colloque annuel de l’UOIF, au Palais des congrès de Paris, le 6 février 2016.

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