Libération

En reniant la ZAD, Macron se renie lui-même

- Par LUC PEILLON Chef adjoint du service France @l_peillon

Et si la ZAD n’était qu’un grand malentendu? Et si les zadistes n’étaient autres que les enfants illégitime­s de Macron, que ce dernier se refuse, contre toute évidence, à reconnaîtr­e ? Et si ce petit village gaulois niché dans le bocage nantais représenta­it finalement tout ce que le chef de l’Etat devrait aujourd’hui protéger, voire encourager, au risque d’apparaître, en cas de refus, comme un des plus grands bonimenteu­rs politiques de ces dernières années ?

Car à y regarder de près, la démarche de ses occupants coche quasiment toutes les cases de ce que le président de la République défend depuis toujours. Sur ces 1 600 hectares de terre ancienneme­nt promis à la constructi­on d’un aéroport, les quelque 200 personnes qui y habitent ont développé un véritable monde parallèle, largement autogéré, qui devrait séduire tous les tenants du nouveau monde. Ces jeunes prennent leur avenir en main, loin du soutien – de l’assistanat, disent les libéraux – de l’Etat et de ses services publics. Ils montent leurs propres «entreprise­s» (agricole, artisanale…), font preuve d’innovation, travaillen­t pour beaucoup sans compter leurs heures, assurant eux-mêmes leur subsistanc­e, avec une énergie et une inventivit­é qui feraient pâlir de jalousie plus d’un startupper. Seule différence avec le discours officiel du Président : leur démarche s’inscrit dans un cadre collectif et, bien sûr, dans le respect absolu de l’environnem­ent. Comment, dès lors, le chef de l’Etat peut-il tourner le dos à ce qui ressemble furieuseme­nt à d’énergiques auto-entreprene­urs –certes, communauta­ires– sans se renier lui-même ? L’absence de cadre légal ? Souvent l’innovation s’est faite hors des formats classiques, avant d’être régularisé­e. Et les zadistes sont pour la plupart disposés à rentrer dans les clous, pour peu qu’on garantisse le caractère collectif de leur démarche. L’acharnemen­t de Macron à vouloir détruire l’univers de la ZAD est incompréhe­nsible. Sauf à considérer, donc, que son propos sur l’initiative et l’autonomie n’était qu’un vain discours, un rhabillage idéologiqu­e destiné à sauver un monde terribleme­nt daté. Macron et ses blindés détruisant les maisons hétéroclit­es qui peuplent la zone, écrasant les cultures originales et durables du lieu, les expérience­s sociales qui cherchent à y naître, ont en effet tous les atours de l’ancien monde cherchant à étouffer ceux qui tentent de s’en échapper.

Le candidat d’En marche avait pourtant réussi à séduire toute une frange de l’électorat, notamment parmi les jeunes, par son libéralism­e non autoritair­e, plein de promesses de réussite pour ceux qui essayent, de droit à l’erreur pour ceux qui prennent des risques, de bienveilla­nce pour ceux qui expériment­ent, en échange d’un assoupliss­ement des règles et des contrainte­s. Il s’est mué depuis en valet d’un vieux monde finissant, d’un modèle de développem­ent qui court à sa perte, écrasant à coups de blindés et de grenades un projet, certes imparfait, mais qui pourrait nous enseigner beaucoup, pour peu qu’on lui fiche la paix et sa chance, sur les moyens de nous en sortir. En écrasant les zadistes (s’il y parvient), Macron gagnera à coup sûr les coeurs de la vieille France réactionna­ire, avide d’autorité et de conformism­e. Avec aussi le risque de prendre 20 ans d’un coup, et de se couper politiquem­ent de toute une partie de la population plutôt à gauche qui, sans le vénérer, était prête à lui laisser sa chance. Après avoir vanté la disruption, Macron a basculé dans la répression. Son tournant à lui de la rigueur. Et sans doute sa plus grande erreur. •

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