Castro part, un fidèle reste
Raúl Castro cède ce jeudi le fauteuil de président, tournant ainsi la page d’une histoire politique vieille de plus d’un demi-siècle. Son successeur désigné, Miguel Díaz-Canel, suscite peu d’espoirs parmi la population.
Ce jeudi, Cuba tourne une page. La vie des 12 millions d’habitants du pays ne va pas en être bouleversée, ni les difficultés de leur quotidien soulagées. L’importance de l’événement est d’ordre symbolique: pour la première fois depuis 1959, le chef de l’Etat en exercice ne portera pas le nom de Castro. Après Fidel, qui a gouv erné jusqu’en 2006, puis son frère Raúl, aux commandes depuis douze ans, un «jeune» dirigeant va accéder au pouvoir. C’est Miguel Díaz-Canel, 57 ans, qui sera désigné président du Conseil d’Etat par l’Assemblée nationale élue en mars. Une chambre monocolore puisque tous ses membres appartiennent au Parti communiste ou à ses organisations satellites (Union des femmes, des étudiants, des paysans, syndicats).
DINOSAURES
Raúl Castro, 86 ans, sort-il pour autant de la photo pour aller cultiver la moringa, plante supposée miracle que promouvait avec enthousiasme son frère aîné ? Pas du tout. Raúl reste à la tête du Parti communiste de Cuba, le seul autorisé sur l’île, «force dirigeante supérieure de la société et de l’Etat» comme le proclame l’article 5 de la Constitution de la République. Le Parti est donc au-dessus de l’Etat. La tâche qui attend l’homme aux cheveux blancs est immense. L’un des derniers dinosaures du communisme (avec la Corée du Nord) est en état d’asphyxie économique et, à défaut de contestation politique organisée, voit émerger une société civile qui aspire à des réformes économiques de fond et à un accès libre à Internet, encore très surveillé. La population assiste avec indifférence à la passation de pouvoir. A Remedios, ville de 40000 habitants sur la côte nord, Ezequiel commente : «Rien ne va vraiment changer. L’échéance a été annoncée, préparée.» Pour cet ouvrier du bâtiment de 39 ans, «Raúl Castro se sait vieillissant et sa mort au pouvoir aurait fait courir au pays un risque de destabilisation. Là, les choses ont été anticipées pour que le calme et la sérénité perdurent.» A Cárdenas, près des plages touristiques de Varadero, Alfonso, serveur de 34 ans, donne son sentiment: «Le vrai changement, c’était le départ de Fidel Castro. Son frère a pris le relais, le charisme en moins, même s’il incarnait lui aussi l’héritage de la révolution. Perdre Fidel était un événement mondial. Adouber Díaz-Canel est anecdotique.»
CALE SÈCHE
Le nouveau chef de l’Etat est cependant très apprécié à Villa Clara, sa région d’origine, où il a dirigé le Parti communiste local pendant une décennie. On loue son pragmatisme, son énergie, son esprit d’ouverture qui l’a fait défendre un centre culturel alternatif, El Mejunje («la mixture»), longtemps mal vu par les autorités culturelles avant d’être reconnu et officialisé. Autre différence : Díaz-Canel n’est pas militaire comme ses deux prédécesseurs. Mais ne pas avoir porté l’uniforme vert olive est aussi un handicap, tant l’armée est présente dans l’économie, par le biais de corporations, notamment dans le secteur du tourisme, un des rares qui rapportent de l’argent à Cuba. Le nouveau président ne pourra guère compter sur l’appui du Venezuela, qui continue à livrer un peu de pétrole à prix d’ami. Et l’illusion d’une levée de l’embargo économique décrété par Washington en 1962 s’est évanouie avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Raúl Castro a un peu soulagé les finances publiques en autorisant quelques centaines de milliers de Cubains à exercer un petit métier en autoentrepreneuriat. Mais les grands projets sont en cale sèche, comme la zone de développement spécial de Mariel, à 45 kilomètres de La Havane, censée devenir la plaque tournante du commerce maritime dans les Caraïbes. En cinq ans, les investisseurs étrangers se sont présentés au comptegouttes. Seul le tourisme attire les capitaux étrangers, et encore, de nombreuses entreprises reculent devant les conditions de travail imposées par le régime à ses propres citoyens : le salaire d’un diplômé ne dépasse guère les 25 euros mensuels. •