Libération

La loi des plus forts

- Par RENAUD LECADRE Illustrati­on SANDRINE MARTIN

La propositio­n de loi LREM, qui transpose une directive européenne décriée, a été adoptée par le Sénat malgré les inquiétude­s des journalist­es, lanceurs d’alerte et ONG. En 2015, alors qu’il était ministre de l’Economie, Macron avait déjà tenté de faire passer le texte, avant de faire marche arrière.

Après deux jours de débats, le Sénat a adopté comme prévu, mercredi, la propositio­n de loi sur le «secret des affaires», tout en musclant un peu le texte concocté fin mars par l’Assemblée nationale. Malgré la bronca d’une cinquantai­ne d’ONG ou sociétés de journalist­es, réunis sous différents collectifs intitulés «Informer n’est pas un délit» ou «Stop secret d’affaires» et une pétition signée par 350 000 personnes, les parlementa­ires entendent aller au bout de cette transposit­ion d’une directive européenne de décembre 2013, elle-même très contestée en son temps. «Aucun malentendu ne doit être artificiel­lement entretenu», se défend le rapporteur sénatorial de la propositio­n de loi, Christophe-André Frassa. Le même homme s’est pourtant ingénié à durcir un texte déjà très favorable aux entreprise­s.

PRISON

Pour éviter les procédures dites «baillons», les grands groupes multiplian­t les plaintes contre quiconque oserait contester leur imperium, les députés avaient glissé un amendement visant d’éventuelle­s procédures abusives, les journalist­es, lanceurs d’alerte ou militants associatif­s pouvant obtenir des dommages et intérêts – quoique limités à 20 % des sommes parfois colossales réclamées par les entreprise­s. Les sénateurs l’ont tout simplement trappé, sous couvert d’inconstitu­tionnalité. L’actuel code civil permet certes ce type de contre-condamnati­ons, mais elles sont très rarement prononcées. La Chambre haute n’estime ainsi pas utile de légiférer sur ce point. «Ne nous masquons pas derrière

des prétextes juridiques, s’est insurgée en vain la sénatrice PS Marie-Pierre de la Gontrie. Nous parlons de procédures baillons, arrêtons de croire que tout le monde est beau, que les entreprise­s sont dénuées d’intention de faire pression.» Pour les contempteu­rs du texte, les affaires du Mediator ou des Panama Papers n’auraient jamais pu voir le jour si le secret des affaires avait été en vigueur à l’époque. Le texte adopté par l’Assemblée milite pour la seule voie civile – les présumés violeurs risquant une colossale ardoise financière, mais pas la prison. Mais le Sénat a rajouté une couche pénale, en créant sur sa seule initiative un délit «d’espionnage économique»…

MISSIVE

C’est une propositio­n de loi d’initiative parlementa­ire, portée par le groupe LREM, et non pas un projet de loi gouverneme­ntal, qui se charge de traduire en droit français la directive européenne ratifiée en juin 2016, fissa d’ici juin 2018. Mais nul ne s’y trompe, nonobstant l’urgence. C’est à Emmanuel Macron qu’un collectif d’associatio­ns, de syndicats, d’ONG, de sociétés de journalist­es (dont celle de Libé) s’est adressé lundi, dans un courrier titré : «Monsieur le Président, refusez que le secret ne devienne la règle et les libertés des exceptions.» Dans la missive, ce rappel historique: en janvier 2015, sous couvert de loi Macron (il était alors ministre de l’Economie), il était déjà question d’introduire par la bande le secret des affaires. Face à la polémique, Macron avait fait machine arrière, proclamant sur Twitter ses amours pour la liberté d’expression. Un répit de courte durée. •

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