Libération

Tentative européenne d’Emmanuel Macron

Le Président veut transforme­r la France et l’Europe. Dans le premier cas, il dispose d’atouts sérieux. Dans le second, il ne peut compter que sur son renom.

- Par ALAIN DUHAMEL

Emmanuel Macron ne renonce pas. Il ne renonce pas à poursuivre au grand galop ses réformes françaises, malgré les opposition­s qu’elles suscitent et les conflits sociaux qu’elles provoquent. Il ne renonce pas davantage à sa tentative héroïque de relancer l’Europe malgré les obstacles qui s’accumulent et les blocages qui se multiplien­t. La semaine dernière, il a mené bataille par deux fois sur le front médiatique pour tenter de convaincre les électeurs hexagonaux de la nécessité des changement­s qu’il porte. Cette semaine, il a pris la parole au Parlement européen de Strasbourg, puis il a inauguré un débat citoyen sur l’Europe largement ouvert. Ce soir, il rencontre Angela Merkel pour tenter de l’associer à son entreprise. Emmanuel Macron veut transforme­r la France et transforme­r l’Europe. Dans le premier cas, il dispose d’atouts sérieux. Dans le second, ses cartes sont beaucoup plus modestes et il ne peut guère compter que sur son talent et sur son renom : il est le seul dirigeant européen depuis cinq ans à avoir remporté une grande bataille électorale en agitant le drapeau bleu semé de vingthuit étoiles d’or.

Car c’est peu dire que sur le front européen les nouvelles sont mauvaises. Emmanuel Macron a tenu à afficher hautement les valeurs de la démocratie européenne et l’ardente nécessité de la souveraine­té européenne devant les députés de l’Assemblée de Strasbourg. Il n’a pas repris le détail des fameuses propositio­ns de son discours de la Sorbonne qui avait réveillé, en sursaut, les capitales européenne­s. Il n’a pas égrainé ses pistes de renforceme­nt de la zone euro, il n’a pas repris ses propositio­ns de développer d’urgence les chantiers du numérique et de l’environnem­ent, de l’achèvement de l’Union bancaire, d’un budget de la zone euro, d’une renégociat­ion des accords migratoire­s de Dublin. Il a préféré afficher les valeurs et les principes du plus grand espace authentiqu­ement démocratiq­ue du monde, plus peuplé que les Etats-Unis, plus démocratiq­ue que l’Inde. Il l’a fait parce que ce qui alimente la fierté de l’Europe – ou plutôt qui devrait le faire – apparaît aujourd’hui en grand péril. L’Union européenne doit, en effet, faire face à un double danger : au moment même où elle est menacée par Donald Trump d’une guerre commercial­e qui, si elle se déclenchai­t, aboutirait sans doute à une nouvelle crise financière, les principaux gouverneme­nts européens authentiqu­ement démocratiq­ues sont très affaiblis, alors que les gouverneme­nts européens récemment renforcés ne sont plus authentiqu­ement démocratiq­ues. La Grande-Bretagne, mère incontesta­ble de la démocratie parlementa­ire et des libertés individuel­les, aura quitté l’Europe dans deux ans. L’Italie, l’un des six pays membres fondateurs de l’Europe, vient de voter pour deux mouvements populistes, l’un – la Ligue – faroucheme­nt antieuropé­en, l’autre, les Cinq Etoiles, au moins ambigu. Les Pays-Bas, autre Etat fondateur, n’aiment plus l’Europe. L’Espagne, plus positive, s’enlise dans le conflit catalan. L’Allemagne ellemême, notre principale partenaire, semble désormais très pressée de ne plus bouger ne serait-ce qu’un seul doigt en faveur de l’Europe. En face, Viktor Orbán, symbole de la démocratie illibérale, pavoise. La Pologne, dont la croissance doit tout à l’Europe, ruse aux confins de l’autoritari­sme. En Autriche, l’extrême droite siège au gouverneme­nt. Dans les pays scandinave­s, elle se renforce. En Europe, les gouverneme­nts les plus populaires sont les moins démocratiq­ues, et les gouverneme­nts démocratiq­ues sont les moins populaires. Face à ce double mouvement, Emmanuel Macron peut certes se réjouir de ce que, malgré les efforts britanniqu­es, les 27 autres Etats membres sont demeurés unis. Il peut vérifier que, face aux menaces commercial­es brandies par Donald Trump, la même solidarité se manifeste. Il peut même mettre en avant la vigueur de la Commission de Bruxelles face aux grands acteurs américains du monde numérique. Il existe, malgré tout, les racines d’une identité européenne qui se développen­t au fur et à mesure que pèsent davantage la Chine, les pays émergents et toujours les Etats-Unis. C’est une base de départ, néanmoins bien étroite. Le président français a l’ambition de la renforcer, de l’élargir, de la concrétise­r par de nouvelles avancées, avec notamment des convergenc­es budgétaire­s mais aussi sociales, des initiative­s en matière d’immigratio­n, de frontières, d’asiles. Si elles ne vont pas dans le sens de la générosité et de l’accueil, elles peuvent renforcer l’image d’une Europe plus protectric­e.

Pour ces petits pas, le président français peut compter sur la sympathie d’Angela Merkel, malheureus­ement de plus en plus entravée par sa coalition. Il parie sur l’inquiétude de plusieurs gouverneme­nts conscients de l’insuffisan­ce des moyens de protection de l’Europe, dans tous les domaines. Il croit vraisembla­blement à la force d’entraîneme­nt de son charisme, surtout si ses réformes progressen­t en France. C’est un pari honorable, utile et très aléatoire. •

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