Libération

Le journalist­e et romancier Douglas Preston détaille l’expédition scientifiq­ue à laquelle il prit part en 2015, à la recherche des vestiges d’une civilisati­on inconnue d’Amérique centrale.

La Cité du dieu singe émerge des brumes au Honduras

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D’anciens militaires des forces spéciales britanniqu­es se frayent un chemin dans la jungle à coups de machette pour guider des archéologu­es surexcités à la recherche d’une civilisati­on inconnue, oubliée au milieu d’une végétation où les serpents font la loi. On pourrait y lire le scénario du dernier blockbuste­r d’aventures sorti sur grand écran. Mais le romancier et journalist­e américain Douglas Preston, auteur de la série d’aventures de l’inspecteur Aloysius Pendergast, ne laisse, cette fois, pas libre cours à son imaginatio­n. La Cité perdue du dieu singe est le récit détaillé d’une expédition à laquelle il a participé en février 2015, dans la très hostile région de la Mosquitia, au nord-est du Honduras.

Si en Europe «la Cité du dieu singe», aussi appelée «la Cité blanche», est méconnue, au Honduras elle est célèbre. Des légendes séculaires transmises par la tradition orale des peuples autochtone­s évoquaient «une cité prospère et avancée, dotée de vastes réseaux commerciau­x, préservée pendant des siècles […] comme au jour où elle avait été abandonnée». Ces récits ont animé la curiosité de nombreux archéologu­es spécialist­es de l’Amérique centrale et donné lieu à plusieurs expédition­s à travers les siècles, sans succès. «Se pouvait-il qu’une cité perdue tout entière puisse encore être découverte au XXIe siècle ?» interroge dans ce livre l’écrivain. Au-delà des légendes, le colonisate­ur espagnol Hernan Cortès décrit dans un rapport de 1526, six ans après avoir conquis l’empire aztèque, l’existence d’un «royaume [qui] dépasserai­t celui de Mexico en richesse et l’égalerait pour la grandeur de ses villes, la multitude de ses habitants». Douglas Preston relate, documents historique­s à l’appui, le cheminemen­t de la rumeur qui a traversé les époques et fait perdurer le mystère de la Cité blanche.

Rouages.

Un mystère qu’a commencé à lever la campagne scientifiq­ue honduro-américaine de 2015, formée de scientifiq­ues, de militaires, de photograph­es et d’une équipe de télévision. «Si la civilisati­on maya est la plus étudiée des anciennes cultures du continent américain, les habitants de la Mosquitia comptent parmi les moins connus», assure Douglas Preston. Elle est si peu connue qu’on ne lui a pas donné de nom officiel. Bien que l’équipe honduro-américaine n’ait pas découvert cette civilisati­on – plusieurs ruines avaient déjà été identifiée­s – elle a donné à voir la grandeur de cette culture, voisine des Mayas, qui a construit plusieurs villes d’ampleur où vivait une population à la hiérarchie sociale complexe, et qui a brutalemen­t disparu autour de 1550.

Cette trouvaille qualifiée de «plus importante découverte archéologi­que de ce début de XXIe siècle» par la société du National Geographic est le fruit de plus de dix ans de recherches historique­s, de tentatives de localisati­on et de quêtes de financemen­ts. Douglas Preston, par son talent de romancier, révèle les rouages de ces pérégrinat­ions archéologi­ques où rien n’est laissé au hasard, loin du fantasme de l’aventurier qui tomberait par chance sur un tombeau oublié. Pour trouver l’emplacemen­t de cette cité perdue au Honduras, le recours au lidar, une technologi­e militaire de télédétect­ion par laser ultra précise, a été nécessaire pour cartograph­ier les reliefs des bâtiments noyés sous la végétation, dans un cirque rocheux isolé. A cause de la situation géographiq­ue de la cité, les recherches ont coûté plusieurs dizaines de milliers de dollars et ont été faites au péril de la vie des membres de l’opération. Car la Mosquitia est une des régions les plus dangereuse­s au monde. Elle est en grande partie contrôlée par des cartels de drogue surarmés. Tel que le raconte le journalist­e américain, avec humour, dans ces contrées, les plus grands périls viennent de la nature : des phlébotome­s, ces insectes piqueurs et vecteurs de maladies, aux fers de lance, serpents dont les crochets peuvent projeter du venin à plus de deux mètres, en passant par des plantes tropicales aux épines pouvant écorcher jusqu’au sang.

Disparitio­n.

Au-delà du récit proche d’un roman d’aventures, Douglas Preston questionne l’intérêt et les conséquenc­es de leur exploratio­n. Lors de la publicatio­n de leurs travaux –soutenus par le gouverneme­nt hondurien, qui y voit un moyen de renforcer l’attractivi­té du pays – une forte polémique a agité les milieux universita­ires américains. Une pétition très relayée a critiqué «un langage symptomati­que de la vieille archéologi­e colonialis­te à la Indiana Jones». Preston réfute ces arguments et assure que les artefacts découverts ont été protégés du mieux possible. Mais il admet regretter que cette entreprise ait conduit à la destructio­n d’une partie de cette vallée, vierge jusqu’alors de l’empreinte de l’homme moderne.

La partie la plus intéressan­te de ce riche ouvrage reste la réflexion que développe Preston sur les raisons de la disparitio­n soudaine de cette civilisati­on. Elle rappelle celle des Mayas qui, selon la thèse que Jared Diamond détaille dans son essai Effondreme­nt, Comment les sociétés décident de leur disparitio­n ou de leur survie (Gallimard, 2006), a été causée par une catastroph­e sociale et écologique. La cité-Etat maya de Copan, une des plus prospères, s’est disloquée au IXe siècle après des mouvements sociaux nés de l’accroissem­ent des inégalités entre les élites et le peuple, ainsi que d’un appauvriss­ement extrême des sols dû à la surexploit­ation. «L’archéologi­e regorge de récits édifiants qui nous invitent à réfléchir, nous qui vivons au XXIe siècle, non seulement à la maladie, mais aux réussites et aux échecs des hommes, écrit Preston. Elle nous met en garde contre la dégradatio­n de l’environnem­ent, les inégalités de revenus, la guerre, la violence […] et le fanatisme religieux.» Une leçon qui trouve une dure résonance alors que chaque semaine sort une nouvelle étude alarmante sur l’état de dégradatio­n des sols, du climat et de la biodiversi­té. Le destin tragique de la civilisati­on de la Cité blanche, que l’archéologi­e doit encore élucider, rappelle qu’aucune civilisati­on n’est éternelle. Même la plus évoluée technologi­quement. AUDE MASSIOT DOUGLAS PRESTON

LA CITÉ PERDUE DU DIEU SINGE Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Magali Mangin. Albin Michel, 382 pp., 24 €.

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