MACRON EN FORCE, MANIFS EN BAISSE
Après plusieurs semaines de mobilisation contre les réformes de la SNCF et de l’université, les luttes peinent à converger et s’essoufflent face à l’inflexibilité d’un exécutif fort du soutien de l’opinion.
Ils étaient 120000, selon l’Intérieur, à défiler dans toute la France, jeudi, à l’appel de la CGT et de Solidaires. Le 22 mars, 320 000 fonctionnaires et cheminots étaient dans la rue. C’est peu dire que le durcissement du gouvernement n’a pas amplifié la mobilisation. Engagé sur trois dossiers chauds – réforme de la SNCF, évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et mouvement étudiant– l’exécutif multiplie les déclarations intransigeantes. «Nous irons au bout», affirme sans relâche le Président à l’adresse des cheminots mobilisés, alors que les syndicats ont rompu les ponts jeudi avec la ministre des Transports, Elisabeth Borne (lire page 3). Même impassibilité face aux facs occupées, alors que six présidents d’université ont appelé, jeudi, l’exécutif à négocier sur le sujet. La veille à Nantes, c’est le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, qui s’était chargé de rappeler les règles du jeu aux occupants illégaux de la ZAD : la régularisation avant le 23 avril ou l’expulsion.
RAIDEUR ET EMPRESSEMENT
Une intransigeance qui s’explique aussi par le soutien de l’opinion sur ces trois sujets : selon un sondage Ifop publié mercredi, 68% des sondés approuvent les opérations policières contre la ZAD, 59 % la réforme de la SNCF et 55% celle de l’accès à l’université. Depuis presque trois semaines, l’opinion n’a pas varié: elle soutient encore le gouvernement. Raideur sur le fond, empressement sur la forme : la méthode est caractéristique d’un chef de l’Etat convaincu que son jusqu’au-boutisme de réformes ne doit pas perdre de temps. «Il faut
continuer, car les fruits des réformes ne seront là que dans trois ou quatre ans, justifie un élu LREM. Et aussi parce qu’on ne pourra plus rien faire dans deux ans, une fois perdue la légitimité immédiate de l’élection.»
Cet horizon électrise une majorité habitée par l’idée de «faire», où l’on se flatte de chambouler tous azimuts –de l’administration aux partenaires sociaux en passant par l’opposition. «C’est indispensable de bousculer les corps intermédiaires, parce que ça ronronne», assume une ministre. «De la concertation, il y en aurait davantage s’il y avait de vraies propositions en face», défend un autre membre du gouvernement, jugeant que la méthode est bonne «quand on fait face à des organisations qui nous dénigrent le droit de réformer». Des procédés qui exposent toutefois l’exécutif à un procès en brutalité. «Vous avez appelé votre mouvement En marche, n’auriez-vous pas dû l’appeler En force ?» Lancée par Edwy Plenel, cette pique fut l’une des plus remarquées à l’adresse du Président, le 15 avril. Tandis que, selon l’Ifop, «autoritaire» est le trait le plus associé au chef de l’Etat, à 73% des sondés. Pour autant, l’indicateur ne vaut pas condamnation de la méthode, selon Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’institut: «La phrase de Plenel aurait pu faire mouche, c’est un beau slogan. D’autant que, pour la loi El Khomri ou la plus récente réforme du travail, les critiques s’étaient concentrées sur la méthode – article 49.3 ou ordonnances. Mais celle-ci semble jugée plus acceptable par une partie de l’opinion : sympathisants LREM, mais aussi de droite et même une partie des socialistes. Il y a une demande d’action après l’impuissance du dernier quinquennat, mais aussi une forme d’apathie dans une partie de l’opinion, qui jugera l’exécutif d’abord à ses résultats.» Toujours selon l’Ifop, les Français sont 46 % à juger la façon de gouverner de Macron «ni moins bonne ni meilleure» que celle de ses prédécesseurs. Et 37 % à la trouver meilleure, nettement plus que pour Sarkozy et Hollande au même moment de leur quinquennat.
CRÉDIT POLITIQUE
Un constat partagé par le directeur général d’Ipsos, Brice Teinturier : «Ce que traduisent nos enquêtes, y compris celles qui ne sont pas publiées, c’est que pour le moment ça passe. En ce qui concerne la SNCF, les Français considèrent que le statut des cheminots n’est ni équitable ni légitime. Ce qui ne veut pas dire qu’ils adhèrent à l’idée que cela conditionne le redressement de l’entreprise. Mais pour une majorité d’entre eux, le pays est enkysté et la réforme nécessaire. C’est une clé du résultat de la présidentielle : ils créditent Macron d’être un vrai réformateur et se disent convaincus que son action produira des effets positifs.» Un crédit politique qui légitime, aux yeux de l’opinion, la fermeté de l’exécutif face aux cheminots. A fortiori face aux zadistes de Notre-Dame-des-Landes ou aux étudiants. Du coup, la volonté de la CGT de faire feu de tout bois pour «coaliser les mécontentements» pourrait, au final, se retourner contre elle : alors que les Français ne voient aucune cohérence entre les différents conflits, c’est au syndicat plus qu’à l’exécutif qu’ils pourraient reprocher de vouloir passer en force. •