Libération

Humilier

- Par LAURENT JOFFRIN

«Pour l’instant, ça passe.» Le diagnostic d’un sondeur semble bien se confirmer sur le terrain. Pour l’instant, les syndicats protestent mais la caravane des réformes macronienn­es passe. Comme si l’opinion gagnée par l’espoir d’une reprise de l’activité, d’une baisse du chômage et d’une modernisat­ion de l’économie préférait laisser faire le gouverneme­nt plutôt que se lancer dans un blocage général des réformes, même si ces réformes souvent sont, en fait, des sacrifices. Ce scénario, qui demande à être confirmé, présente un grand avantage : Emmanuel Macron, s’il l’emporte, pourra se targuer d’avoir réussi là où tant de ses prédécesse­urs ont reculé. Et si le redresseme­nt de l’emploi se confirme – c’est possible au vu des chiffres de la croissance – sa méthode sera légitimée par les résultats obtenus dans deux ou trois ans. Mais cette hypothèse présente aussi un grave inconvénie­nt : humilier purement et simplement les syndicats et plus largement les corps intermédia­ires qui irriguent la société française. A commencer par les organisati­ons réformiste­s, les plus conciliant­es, qui en tiennent pour la négociatio­n et le compromis. Le bonapartis­me souriant du président de la République peut-il se changer en méthode pérenne de gouverneme­nt ? A trop atomiser le dialogue social, bientôt réduit à un face-à-face entre l’Etat et l’opinion, courtcircu­itant toutes les instances de représenta­tivité partielle, on finit par concasser l’édifice social qui perd ses relais et ses systèmes d’alerte, qui se dessaisit de son rôle d’amendement ou même d’élaboratio­n des réformes au profit des seules instances politiques. Dans cette procédure nouvelle, les structures habituelle­s se dissolvent dans un vaste ensemble fait de grains isolés autour d’un pilier central. Il arrive, dans ce désert de la concertati­on et du dialogue, que se lèvent des tempêtes de sable. •

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