Libération

Face à un gouverneme­nt qui accélère, le calendrier du mouvement est de plus en plus contesté.

Cheminots : une grève reçue deux sur cinq

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Dans le jargon des cheminots, le calendrier de grève intermitte­nt est appelé le «deux cinq» (pour deux jours de grève sur cinq). «Il fallait bien lui trouver un petit nom puisqu’on en parle tout le temps», glisse un cheminot entre la gare du Nord et le boulevard Montparnas­se. Cette modalité de mobilisati­on a été choisie à l’initiative de la CGT. «C’est nouveau pour nous», admet un conducteur de trains, à la SNCF depuis quinze ans. Les arguments en sa faveur ont peu fait débat : mobiliser dans la durée sans trop affecter le portefeuil­le des cheminots. Mais presque trois semaines après le premier jour de grève, alors que les cheminots parisiens défilent jusqu’à la place d’Italie, certains d’entre eux reprochent à ce calendrier de les avoir précipités vers une défaite certaine. En diluant dans le temps le rapport de force, le mouvement aurait raté le coche d’une vraie confrontat­ion. «On est face à un Macron qui reste ferme, qui tient sa ligne à la Thatcher. Pendant que nous, on en est encore à se prendre la tête sur une histoire de calendrier», regrette un aiguilleur. «On manifeste aujourd’hui, mais la loi a été adoptée cette semaine à l’Assemblée. Est-ce qu’on pourra les faire revenir en arrière en faisant grève deux jours sur cinq?» s’inquiète Stéphane, autocollan­t SUD Rail sur le tee-shirt. Tous les deux espèrent un «durcisseme­nt du mouvement» ,à savoir une grève reconducti­ble tous les jours.

Villepin.

En face, d’autres militants comme Hervé Souprayen, délégué du personnel CGT à la gare de l’Est, prônent la patience. Il fait remarquer que la mobilisati­on est quasi constante les jours de grève. «Chez nous, lors des jours prévus, le taux de conducteur­s en grève est de 88%. Deux jours, ça permet de perturber le trafic pendant quatre ou cinq jours, le temps qu’il reprenne. Il faut installer le mouvement dans la durée», plaide le syndicalis­te. Dans sa gare, l’assemblée générale a voté la reconducti­on à lundi, comme prévu. Même constat du côté de la gare de Lyon. «On reprend lundi, c’est ce qui fonctionne, même chez les militants SUD Rail [favorable à une grève reconducti­ble, ndlr]. Pour l’instant, nous, on veut conserver l’unité, donc on suit. Peut-être que début mai, il faudra durcir le mouvement, on verra au jour le jour», analyse Yacine Khelladi, délégué SUD Rail.

Preuve que les pro-calendrier gagnent néanmoins du terrain, les références des grévistes ont changé. Jusqu’à présent, les cheminots se voulaient héritiers de 1995, lorsqu’ils avaient fait reculer le gouverneme­nt. La réforme adoptée en première lecture, les militants évoquent désormais le CPE (Contrat première embauche) du gouverneme­nt Villepin en 2006, lorsque la mobilisati­on avait permis de faire «retirer une loi déjà votée». «On s’en fout du vote à l’Assemblée. S’il faut poursuivre après juin, on le fera», ajoute Hervé Souprayen.

Jeux de pouvoir.

Pour d’autres cheminots non syndiqués, le «deux cinq», que l’on soit pour ou contre, pénalise le mouvement plus qu’il ne le sert. Il est aussi révélateur des jeux de pouvoir qui se jouent en coulisse entre les syndicats. «Macron, il se frotte les mains, ils sont tous en train de se prendre la tête sur des questions d’organisati­on. Lui, il n’a qu’à dire qu’il reste ferme, qu’on prend en otage les gens et les regarder faire», dit l’un d’eux. «Les collègues de SUD Rail, ils n’ont qu’un mot à la bouche : “reconducti­ble”. Ceux de la CGT, c’est “convergenc­e, convergenc­e, convergenc­e”. Résultat, je suis perdu, je fais la grève quand je le sens», reconnaît l’un de ses collègues.

GURVAN KRISTANADJ­AJA

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