Libération

Porté par son offensive en Syrie, Recep Tayyip Erdogan n’a jamais été aussi proche de la Russie en dépit de son soutien aux frappes occidental­es.

La carte militaire, un atout électoral pour le président turc

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Au même titre que ses méga-projets fleurissan­t un peu partout à Istanbul ou l’imposant taux de croissance de son pays, Recep Tayyip Erdogan ne devrait pas résister à l’envie d’évoquer, comme argument de campagne, le bilan de sa politique extérieure. Il faut dire que la Turquie est sortie victorieus­e de l’opération militaire lancée contre le canton syrien d’Afrin pour déloger les combattant­s kurdes des YPG, accusés par Ankara d’être liés aux Parti des travailleu­rs du Kurdistan (PKK). Une opération qui, au regard des sondages, a remporté un écrasant soutien au sein de la population turque. «C’est aussi pour cela qu’Erdogan a voulu des élections anticipées, pour pouvoir tirer profit électorale­ment de cette rapide victoire militaire», estime Soner Çagaptay, du Washington Institute of Near East Policy. «En profiter avant que la situation ne se complique sur le terrain», s’empresse d’ajouter le chercheur.

«Légitimité».

Car au-delà des discours victorieux de l’exécutif, les résultats de la politique internatio­nale d’un président turc aux accents toujours plus autoritair­es et nationalis­tes, laissent quelque peu perplexe. La politique du «zéro ennemi aux frontières» portée par Erdogan semble être un lointain souvenir, comme l’illustre amèrement le regain de tensions en mer Egée entre Ankara et Athènes. Mercredi, la Commission européenne s’inquiétait dans son rapport annuel que la Turquie «continue à s’éloigner à grands pas de l’Union européenne, en particulie­r dans le secteur de l’Etat de droit et des droits fondamenta­ux». Ankara n’en reste pas moins un partenaire économique de premier ordre pour les Européens et surtout la garante de l’accord migratoire de 2016, assurant le maintien de millions de réfugiés syriens sur le territoire turc.

Elan d’optimisme.

Mais c’est bien sur le dossier syrien que les changement­s sont les plus profonds. La Turquie, soutien de la première heure des rebelles opposés au président Al-Assad, multiplie depuis plusieurs mois maintenant les initiative­s de rapprochem­ents avec la Russie et l’Iran, deux piliers du régime de Damas. Un changement de cap de la Turquie guidé par les hésitation­s répétées des Occidentau­x concernant le devenir de Bachar alAssad et surtout leur soutien stratégiqu­e apporté aux milices kurdes dans le nord de la Syrie pour lutter contre l’Etat islamique. Une alliance insupporta­ble aux yeux d’Ankara, qui craint de voir à sa frontière l’instaurati­on d’une zone autonome contrôlée par les YPG, pouvant influencer le mouvement kurde sur son propre sol. A l’inverse, par deux fois, Moscou a donné son feu vert à la Turquie pour intervenir militairem­ent contre les YPG sur le territoire syrien. Comme pour mieux semer la discorde dans le camp atlantiste. C’est aussi aux côtés de Moscou et de Téhéran que la République turque peut aujourd’hui jouer un rôle dans les discussion­s d’Astana sur l’avenir de la Syrie ou dans l’établissem­ent des zones de désescalad­e à travers le pays, dont la région rebelle d’Idlib (dans le Nord-Ouest) désormais sous la supervisio­n des forces turques. Une coopératio­n moins idéologiqu­e qu’opportunis­te de part et d’autre. «Quand la Turquie, un membre de l’Otan et opposant au président Al-Assad, est présente à Astana, cela donne de la légitimité à l’initiative de Vladimir Poutine», souligne Soner Çagaptay. La semaine dernière pourtant, certains observateu­rs ont cru voir un nouveau revirement «à la turque», après le soutien unanime d’Ankara aux frappes américaine­s, françaises et britanniqu­es, en réponse aux attaques chimiques à Douma. Le président Macron, dans un élan d’optimisme, se félicitait même d’avoir «séparé» Russes et Turcs. Une sortie qui n’a pas manqué alors de faire réagir l’exécutif turc. «Nous pouvons penser différemme­nt mais nos relations ne sont pas faibles à tel point que le président français puisse les rompre», tranchait ainsi le ministre des Affaires étrangères turques, Mevlut Çavusoglu. Un rapprochem­ent avec Moscou désormais scellé dans une conséquent­e liste de partenaria­ts stratégiqu­es : le gazoduc TurkStream, la constructi­on d’une centrale nucléaire en Turquie, ou encore l’achat par Ankara du système défense russe S-400. Q.R. (à Istanbul)

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