Libération

Menace sur l’accord nucléaire iranien : «Ce serait une catastroph­e»

Avec des parlementa­ires allemands, britanniqu­es et français, la députée LREM Delphine O signe une lettre ouverte en soutien à l’accord dont les Etats-Unis pourraient sortir.

- Recueilli par PIERRE ALONSO

Dans une lettre ouverte parue jeudi dans la presse et sur un site dédié, 500 parlementa­ires allemands, britanniqu­es et français appellent le Congrès américain à soutenir l’accord sur le nucléaire iranien. Signé à Vienne le 14 juillet 2015, il est aujourd’hui menacé par le président américain, qui le conspue depuis sa campagne électorale. Donald Trump a fixé un nouvel ultimatum au 12 mai, à l’issue duquel les Etats-Unis pourraient en sortir. La députée LREM Delphine O est l’initiatric­e de cette démarche «européenne et transparti­sane». Pourquoi publier cette lettre ouverte aujourd’hui ? Nous sommes à quatre jours de la visite du Président à Washington. L’accord sur le nucléaire iranien sera évidemment au menu des conversati­ons. Or, la date limite fixée par Trump est dans trois semaines : il dira s’il se retire de l’accord ou s’il renouvelle la suspension des sanctions. Quels seraient les effets d’une sortie de l’accord par le Président américain ? Les Européens, notamment l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, ont une position claire : ils ont dit qu’ils resteraien­t dans l’accord, même en cas de retrait américain. Il est néanmoins possible que l’Iran se retire après les Etats-Unis. Ce serait une catastroph­e. Cela signifiera­it que l’Iran pourrait de facto reprendre ses activités nucléaires, jusqu’ici strictemen­t encadrées.

Dès lors, il y aurait un risque de proliférat­ion dans la région. L’Arabie Saoudite a déjà dit qu’elle lancerait un programme nucléaire si l’Iran reprenait le sien. Vous adressez votre lettre au Congrès américain. Mais que peut-il ?

Ce n’est pas le premier ultimatum fixé par Trump, qui doit renouveler la suspension des sanctions tous les trois mois. La dernière fois, il a refusé de prendre la responsabi­lité d’un retrait et a renvoyé le sujet au Congrès. Celui-ci peut décider d’un retrait, mais aussi faire pression sur l’administra­tion américaine. Il peut être une voix de modération : les démocrates sont favorables à l’accord, une bonne partie des républicai­ns y sont opposés. La dernière deadline a montré que ni le Congrès, ni l’administra­tion américaine n’avaient d’alternativ­e. C’est pour ça qu’il n’y a pas eu de décision radicale, alors que Trump dit depuis sa campagne qu’il va en sortir. Il y a la rhétorique et les actes. Des membres du Congrès qui avaient pris des positions critiques sur l’accord se sont rendu compte des conséquenc­es d’un retrait : la proliférat­ion nucléaire, mais aussi l’enjeu pour la crédibilit­é des EtatsUnis, s’agissant d’un accord majeur de la diplomatie internatio­nale, signé par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et soutenu par la communauté internatio­nale.

Quelles sont vos craintes en cas de rupture de l’accord ?

Si les Iraniens se retirent dans la foulée, les conséquenc­es seront catastroph­iques pour la proliférat­ion, mais il y a aussi un risque de radicalisa­tion des positions iraniennes. Les négociatio­ns sur l’accord avaient permis de rouvrir des canaux de dialogue avec Téhéran et de relancer les relations économique­s. On essaie d’avoir avec l’Iran des discussion­s sur des sujets qui ne sont pas dans l’accord : son programme balistique et les conflits régionaux (la Syrie, le Yémen). Un retrait serait une victoire des conservate­urs iraniens, qui y verraient une justificat­ion à leur opposition et un affaibliss­ement de Rohani, notre interlocut­eur. Les Européens peuvent-ils faire changer d’avis Donald Trump ?

J’espère! Le travail de persuasion se joue presque au niveau de la relation personnell­e entre Macron et Trump. Trump s’est retourné sur d’autres sujets, comme sur la COP 21, même si les nomination­s récentes –surtout John Bolton comme conseiller à la sécurité nationale – ne nous rendent pas optimistes. La dernière personne qui parlera à Trump sera peut-être en mesure de l’influencer avant le 12 mai. Sur le fond, il faut montrer aux Etats-Unis que nous prenons au sérieux les agissement­s de l’Iran dans la région. Plusieurs Etats européens ont proposé de nouvelles sanctions contre leur programme balistique au Conseil des ministres des affaires étrangères qui s’est tenu lundi au Luxembourg. L’Italie s’y est opposée. Les frappes en Syrie, sans lien avec le dossier iranien, sont une illustrati­on de la collaborat­ion entre Washington, Paris et Londres, et prouvent que nous ne sommes pas naïfs dans le rapport de force au Moyen-Orient, que nous savons êtres fermes. Les Occidentau­x ont-ils les moyens de peser sur la politique régionale déstabilis­atrice de l’Iran, en Syrie et au Yémen ?

Il faut ouvrir des canaux de dialogue. J’ai accompagné le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, à Téhéran le 4 mars. Ces sujets étaient sur la table. Au Yémen, l’Iran a moins d’intérêts en jeu. C’est le conflit où il serait le plus facile de réunir tous les acteurs autour de la table. On essaie aussi de leur dire de faire pression sur AlAssad pour qu’il cesse ses bombardeme­nts sur les civils, qu’il cesse de les gazer, qu’il permette l’achemineme­nt humanitair­e. Rohani et son ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, sont ouverts à la discussion, une fois le chapitre du nucléaire bien calé. Si le premier s’effondre, le reste risque de suivre. •

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PHOTO XINHUA. GAMMA-RAPHO VIA GETTY IMAGES Le 20 août 2010, devant la centrale nucléaire de Bouchehr, dans le sud de l’Iran.
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