Libération

Le tribunal administra­tif de Châlons-enChampagn­e doit rendre ce vendredi son arrêt sur l’interrupti­on des soins décidée par le CHU de Reims pour cet accidenté de 2008.

Arrêt ou encore ?

- Par ÉRIC FAVEREAU

Attendre, attendre encore un peu. C’est ce vendredi soir que le tribunal administra­tif de Châlons-en-Champagne (Marne) doit normalemen­t rendre son arrêt sur le sort de Vincent Lambert, dans le coma depuis septembre 2008 après un terrible accident de voiture. Les juges ayant eu, jeudi, à se pencher sur le nouveau recours en référé déposé par les parents de Vincent Lambert, qui contestaie­nt la décision du CHU de Reims d’arrêter les soins de leur fils, à savoir l’alimentati­on et l’hydratatio­n artificiel­le. Ensuite ? Il faudra attendre encore, car si les parents sont déboutés, ils auront la possibilit­é d’un appel devant le Conseil d’Etat, qui pourrait prendre à nouveau vingt-quatre ou quarante-huit heures.

«Dieu».

On en est donc là, toujours là. Au même point. Avec cette impression d’un disque rayé. Avec, surtout, des positions qui se figent de plus en plus. Ces derniers jours en effet, après l’annonce de l’équipe médicale de vouloir arrêter les soins, les parents de Vincent Lambert n’ont pas désarmé. Sa mère a ainsi écrit une lettre ouverte au président de la République : «Mon fils n’a pas mérité d’être affamé et déshydraté […]. Vincent est handicapé mais il est vivant.» Ou encore: «Vincent n’est pas dans le coma, il n’est pas malade, il n’est pas branché […], il respire sans assistance. Il se réveille le matin, et s’endort le soir.» Puis, quelques jours plus tard, le 11 avril, c’est le pape François en personne qui, à l’issue d’une audience publique, a évoqué cette histoire : «Je voulais répéter et confirmer de manière forte que le seul maître de la vie, du début jusqu’à la fin naturelle, est Dieu. Et notre devoir est de tout faire pour protéger la vie.» Enfin, jeudi, dans le Figaro, 70 profession­nels de santé ont signé un nouvel appel: «Nous tenons à exprimer, en notre âme et conscience, notre incompréhe­nsion et notre extrême inquiétude au sujet de la décision d’arrêt de nutrition et d’hydratatio­n artificiel­les concernant Vincent Lambert. Un tissu d’incertitud­es et d’hypothèses, ainsi que des jugements contradict­oires concernant le niveau de conscience, les capacités de relation et de déglutitio­n, le pronostic, fondent une sanction dramatique, incompréhe­nsible.» Des mots et des positions. Tout paraît avoir été dit. On connaît parfaiteme­nt les arguments. Du côté de Rachel Lambert, femme et tutrice de Vincent, et de six de ses frères et soeurs, on met en avant le respect de la volonté de ce dernier qui, à plusieurs reprises, aurait exprimé qu’il ne voulait pas «vivre une situation de légume». Or la loi Leonetti permet à tout patient de refuser un traitement, y compris l’alimentati­on et l’hydratatio­n. Si le malade n’est pas conscient, c’est à l’équipe médicale de décider après avoir recueilli l’avis de ses proches. Depuis cinq ans, les médecins ont décidé à quatre reprises d’arrêter les soins. La dernière fois donc, le 8 avril, le médecin, le Dr Vincent Sanchez, a expliqué que les soignants étaient «face à un maintien artificiel en vie». François Lambert, le neveu de Vincent, précisant : «Vincent a un corps qui souffre, le médecin nous l’a dit, ce qui veut dire que l’on n’est pas sûr que Vincent ne ressent pas la souffrance.»

«Droit».

En face, c’est un autre regard. Et pendant plus de deux heures, jeudi, les avocats des parents de Vincent Lambert l’ont détaillé. Pour eux, leur fils n’est pas dans un coma profond, mais il se trouverait plutôt dans un état de conscience minimum. La preuve ? Une vidéo où il avalerait de lui-même, et où il suivrait même du regard. L’avocat des parents s’est montré offensif, remettant en question la neutralité de la femme de Vincent Lambert, «qui a donné son avis, alors qu’elle a toujours oeuvré pour l’arrêt des traitement­s. Il y a un conflit d’intérêts manifeste». Un autre avocat a, lui, douté de la compétence et de la légitimité du Dr Sanchez : «Il est gériatre, et non pas spécialist­e des patients dans un état comme celui Vincent Lambert.»

Au fond, pour l’avocat du neveu de Vincent Lambert, il faut arrêter avec ces arguments de passion : «Le droit est là pour trancher. La seule question est de savoir si la décision du Dr Sanchez respecte les conditions de la loi Leonetti. Or c’est bien le cas. La décision est motivée, elle respecte la jurisprude­nce.» L’avocat du CHU de Reims a ensuite pris la parole. Il a insisté sur le climat violent de ces derniers mois, dénonçant «une instrument­alisation de la justice, du droit et de l’opinion publique». Et rappelé les pressions subies par l’hôpital et les médecins eux-mêmes, qui ont dû porter plainte au pénal. «Vincent Lambert est pris en otage dans un état végétatif depuis dix ans. Il y a une intenable obstinatio­n déraisonna­ble depuis cinq ans», a conclu l’avocat de sa femme. «Compte tenu de la complexité du dossier», les juges ont annoncé qu’ils feront connaître leur décision «normalemen­t vendredi après-midi», ou au plus tard lundi. •

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PHOTO PATRICK HERTZOG. AFP Rachel Lambert, femme de Vincent, à Strasbourg le 5 juin 2015.

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