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Dématérial­isation des procédures, fusion des tribunaux… Certains aspects du texte braquent particuliè­rement avocats, magistrats et greffiers.

Les points de la réforme qui cristallis­ent la colère des juristes

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Le projet de loi de programmat­ion pour la justice doit être présenté ce vendredi en Conseil des ministres. Cette échéance ne marque pas la fin de la contestati­on des profession­nels (avocats, magistrats et greffiers), qui déplorent une concertati­on de façade et espèrent obtenir la révision du texte. Si l’intention semble louable –«rendre plus effectives les décisions des magistrats, donner plus de sens à leurs missions et rétablir la confiance de nos concitoyen­s dans notre justice», est-il écrit dans l’exposé des motifs – la traduction juridique suscite une vive opposition. Elle s’est concrétisé­e le 11 avril par un déferlemen­t, de milliers de robes noires venues de tous les barreaux pour battre le pavé parisien contre cette réforme qu’elles qualifient d’«atteinte intolérabl­e aux droits de la défense et des victimes» ou d’«une régression de la politique d’accès au droit», selon un communiqué du Conseil national des barreaux (CNB). De même, le Syndicat de la magistratu­re y voit un texte «voué à gérer la pénurie des moyens par la mise à distance du public». Et le Syndicat des avocats de France, un «démantèlem­ent [de la justice] au bénéfice d’économies de bouts de chandelle». Jusqu’à présent, si la chanceller­ie a fait quelques concession­s, elle n’a pas reculé. Le bras de fer va certaineme­nt se poursuivre dans les semaines à venir. Retour sur les points les plus décriés du texte.

Réforme de l’organisati­on judiciaire

Au coeur de la révolte, il y a la fusion des tribunaux de grande instance (TGI) avec les tribunaux d’instance, chargés de trancher les petits litiges (surendette­ment, tutelles, conflits entre propriétai­res…). Depuis le mois de mars, Nicole Belloubet tente d’éloigner le spectre de la traumatisa­nte réforme Dati en martelant qu’aucun lieu de justice «ne sera fermé», qu’il n’y aura aucune «suppressio­n». Sans parvenir à convaincre. Les avocats comme les magistrats redoutent l’apparition de «déserts judiciaire­s», craignent que certaines juridictio­ns de proximité deviennent des coquilles vides car une partie ou la totalité des contentieu­x sera transférée vers le TGI du départemen­t ou de la région. «Nous ne nous inquiétons pas uniquement pour notre sort, mais surtout pour celui des justiciabl­es qui, quotidienn­ement, trouvent dans nos tribunaux d’instance l’oreille des fonctionna­ires, l’expertise de juges passionnés et très impliqués», écrivait un collectif de 250 juges d’instance sur Libération.fr, le 9 avril.

Création d’un tribunal criminel départemen­tal

Il s’agit de bouleverse­r l’un des grands principes de l’organisati­on judiciaire en créant une nouvelle juridictio­n qui jugera, en première instance, les crimes punis de quinze à vingt ans de réclusion criminelle. Ce tribunal criminel départemen­tal (qui remplacera donc la cour d’assises) ne sera pas composé de jurés populaires mais de magistrats profession­nels. Dans un entretien au Monde, en mars, la ministre Nicole Belloubet expliquait : «L’objectif est de permettre au justiciabl­e d’avoir un jugement rendu dans des délais bien plus rapides». Et d’ajouter : «Aujourd’hui, des affaires sont requalifié­es de crime en délit et passent en correction­nelle plutôt qu’en cour d’assises parce que les parties préfèrent avoir un jugement plus rapide.» Une expériment­ation pour trois ans doit être mise en place à partir de janvier dans plusieurs juridictio­ns volontaire­s – sans qu’on en connaisse déjà la liste. Le CNB déplore «une extension de la correction­nalisation pour tous les crimes, qui fait primer la gestion des flux et l’approche budgétaire sur la qualité du procès d’assises (diminution de l’oralité au détriment des droits de la défense).»

Réforme de la procédure pénale

Plusieurs modificati­ons doivent intervenir afin de «simplifier autant qu’il est possible les règles existantes» de procédure pénale, selon l’exposé des motifs. Concrèteme­nt, le texte prévoit, entre autres, de rendre facultativ­e la présentati­on du suspect devant le procureur pour prolongati­on de sa garde à vue, il étend la durée de l’enquête de flagrance pour tout délit passible de trois ans d’emprisonne­ment, permet l’élargissem­ent des écoutes téléphoniq­ues en enquête préliminai­re pour tous les crimes et délits à partir de trois ans d’emprisonne­ment. Les avocats sont vent debout contre ce qu’ils considèren­t comme un élargissem­ent des prérogativ­es du parquet et qui ne s’accompagne d’aucun corollaire pour la défense.

Déjudiciar­isation de la procédure civile

Le texte promeut les modes alternatif­s de règlement des conflits et oblige désormais le justiciabl­e à passer par des plateforme­s de médiation (payantes) avant d’entamer des démarches judiciaire­s. Les profession­nels y voient une dangereuse privatisat­ion de la justice. Ils dénoncent aussi la dématérial­isation de certaines procédures pour des litiges (inférieurs à un certain montant, qui doit être fixé par décret). Ou encore une déjudiciar­isation de certaines procédures, comme le transfert aux directeurs de CAF du traitement des litiges portant sur la modificati­on du montant d’une contributi­on à l’entretien et à l’éducation des enfants.

JULIE BRAFMAN

La chanceller­ie n’ayant pas reculé, le bras de fer va certaineme­nt se poursuivre

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